Très intéressant, le dernier billet de Guy Birenbaum, le petit blogueur qui monte, qui monte…
Très intéressant au sens où Guy Birenbaum semble considérer que Nicolas Demorand aurait fauté en « lâchant » Didier Porte – qu’il l’aurait lâché en s’autorisant à déclarer à propos d’une des chroniques de l’humoriste de la matinale de France Inter qu’elle n’était « pas drôle« , qu’elle était « vulgaire« .
Dans cette chronique, Didier Porte suggérait à Dominique de Villepin, qu’il imaginait ce matin-là seul au volant de sa voiture, de se libérer de ses obsessions, de se détendre en répétant après lui : « J’encule Sarkozy. J’encule Sarkozy, il a pas de couille ce connard ». Interrogé sur cette chronique au cours de son passage au Grand Journal de Canal +, Nicolas Demorand confie donc : « J’ai trouvé que cette chronique n’était pas drôle. Qu’elle était vulgaire« , ajoutant à cela deux choses importantes.
La première, dont s’empare Guy Birenbaum pour nous inviter à méditer sur l’indignité du journaliste : « Quand vous recevez des mails d’auditeurs qui vous demandent « Comment expliquer à mon gamin qui a huit ans le sens du verbe ‘enculer’ qu’il vient d’entendre à la radio ? »… Moi, ça, c’est pas la radio que je veux faire, c’est certain. ».
Et la seconde, qui moi me semble plus essentielle mais que Guy Birenbaum se garde d’évoquer, à propos des humoristes de la matinale : « Ils ont une liberté totale. On ne relit pas leurs papiers. Moi je ne suis pas manager d’humoristes. […] C’est la condition d’un travail de qualité. Quand on voit un usage de cette nature de la liberté… Là on n’est pas dans la carricature, c’est pas drôle : c’est juste vulgaire, quoi. »
Je médite alors, ainsi que m’y a invité Guy Birenbaum, sur l’ensemble du propos – parce que c’est mieux tout de même que sur sa version partielle – et je me dis que la liberté de l’humoriste étant garantie, celle-ci s’accompagne alors de la liberté de chacun de ne pas rire, de ne pas le trouver drôle, et de le dire. Je me dis que dès lors que Nicolas Demorand se porte garant de ce que les gens avec lesquels il travaille – journalistes, chroniqueurs, humoristes – puissent exercer leurs métiers en toute indépendance, l’essentiel est acquis et il n’y a alors rien à redire à ce que lui puisse user de son droit de critique, sa liberté éventuellement de ne pas rire à toutes les saillies de tel ou tel, et aussi celle de le dire et d’expliquer pourquoi.
Alors oui, je pense aussi que l’argument de la ménagère qui évoque l’incompatibilité entre les « gros mots » et la bonne éducation de son enfant n’est qu’assez peu recevable. Mais qu’importe ? Si Demorand y est sensible, ça lui est personnel et puisqu’il n’en tire pas prétexte pour interdire Didier Porte de « gros mots », c’est bien tout ce qui compte.
Le point est que pour Guy Birenbaum, quand Demorand s’autorise à exprimer son avis et ses raisons, cela correspond à un « lâchage », un acte qui manque d' »élégance » et et de dignité« . La parole de l’humoriste serait libre, pas celle de Demorand. Pour quelle raison ? Parce qu’alors – et c’est bien ce que nous explique Guy Birenbaum – le journaliste se désolidarise de l’humoriste avec lequel il travaille. Voilà en réalité la faute de Nicolas Demorand, selon Guy Birenbaum : il ne s’est pas montré solidaire.
Nicolas Demorand aurait dû, par solidarité, ne pas laisser entendre qu’il pouvait être d’accord avec la mère de famille choquée, outrée que son enfant puisse se trouver souillé par cet « enculer » trop matinal. Il aurait dû manier la langue de bois, passer la pommade médiatique, comme font à longueur d’ondes l’ensemble – ou presque – de ses confrères, qui se trouvent tous merveilleusement et mutuellement talentueux. La solidarité de caste, avant toute chose, avant l’honnêteté intellectuelle. Cette tant vulgaire solidarité confraternelle. Voilà sans doute qui aurait été plus élégant, plus digne…
Oui, j’ai médité. Et je me dis qu’après tout, si je ne partage pas son sentiment à propos de l’incongruité des « gros mots » sur l’antenne de France Inter, cette liberté que s’accorde Demorand, après l’avoir accordée à Didier Porte, elle serait plutôt rafraichissante, plutôt une sorte de bol d’air dans un PAF de plus en plus irrespirable, tant la parole y est contenue, bridée, lisse, où chacun fait des élégances à tous les autres – et pour mieux les poignarder dans le dos, dès que l’occasion se présente, avec dignité…
Et puis, pour tout dire, je trouve en effet que Didier Porte fut là juste vulgaire. C’est que si les « gros mots » ne sont pas en eux-mêmes un problème, ils ne suffisent pas à l’humour. Dire « J’encule Sarkozy », ça ne suffit pas tout à fait à me faire rire. Dès lors qu’il n’est pas justifié par de l’humour, qu’il est supposé contenir l’humour en lui-même, ce propos ne s’élève pas, demeure seulement au niveau du vulgaire.
A méditer.
Source : De Demorand à Guy Birenbaum