C’est le plus célèbre des monologues de théâtre, du moins pour ce qui concerne son ouverture – To be or not to be: that is the question. On pourrait presque prétendre que ces quelques mots sont la quintessence théâtrale : l’image d’un homme accablé contemplant un crâne et se posant la question de sa propre existence. Nous sommes cet homme et nous sommes ce crâne. Nous sommes cette question.
Mais ces quelques mots, leur profondeur qui touche à l’universel, leur puissance dévastatrice, cette entrée dans le monologue ne serait pas ce qu’elle est devenue sans le monologue tout entier et qui leur donne profondeur et puissance. En anglais d’abord – car même sans comprendre, ou en ne comprenant qu’à peine, Shakespeare vaut aussi beaucoup pour la musique des mots :
To be, or not to be: that is the question:
Whether ’tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles,
And by opposing end them? To die: to sleep;
No more; and, by a sleep to say we end
The heart-ache and the thousand natural shocks
That flesh is heir to, ’tis a consummation
Devoutly to be wish’d. To die, to sleep;
To sleep: perchance to dream: ay, there’s the rub;
For in that sleep of death what dreams may come
When we have shuffled off this mortal coil,
Must give us pause. There’s the respect
That makes calamity of so long life;
For who would bear the whips and scorns of time,
The oppressor’s wrong, the proud man’s contumely,
The pangs of dispriz’d love, the law’s delay,
The insolence of office, and the spurns
That patient merit of the unworthy takes,
When he himself might his quietus make
With a bare bodkin? who would fardels bear,
To grunt and sweat under a weary life,
But that the dread of something after death,
The undiscover’d country from whose bourn
No traveller returns, puzzles the will,
And makes us rather bear those ills we have
Than fly to others that we know not of?
Thus conscience does make cowards of us all;
And thus the native hue of resolution
Is sicklied o’er with the pale cast of thought,
And enterprises of great pith and moment
With this regard their currents turn awry,
And lose the name of action.
Il existe de nombreuses traductions, des bonnes et des moins bonnes, et des meilleures sans aucun doute. Là ne fut pas mon propos. J’ai simplement eu envie de m’y essayer pour moi-même, manière de m’immerger tout au fond du sens des mots de Shakespeare et y entendre résonner mes propres échos. Voici :
Être, ou ne pas être
Là est toute la question.
Y a-t-il plus de noblesse à souffrir les coups, les heurts
Les outrages d’une destinée désinvolte
Qu’à prendre les armes contre cet océan de douleurs
Et y mettre fin d’une définitive révolte ?
Mourir
Dormir, rien de plus.
Et, par le sommeil sonner le glas
Des maux du cœur et des mille chocs reçus
Qui de la chair palpitante sont le lourd tribut.
Voilà bien un dénouement dont on aurait un fervent désir.
Mourir, dormir
Dormir…
Rêver peut-être ?
Ha, là donc plonge ses racines tout le mal.
A la pensée que dans un sommeil fatal,
Quand de nos oripeaux mortels nous trouverions soulagés,
Sauraient nous agonir encore de bien cruels songes,
Tout en nous subitement se fige, et à notre désastre immense
Faisons l’offrande d’une existence qui déjà trop se prolonge.
Car qui oserait subir le fouet du temps et ses injures,
Les avanies de l’oppresseur, le mépris des puissants,
De l’amour contrarié les infinies douleurs,
Du pouvoir les insolences, de la loi les lenteurs,
Et à l’effort méritant infligées
Les rebuffades d’hommes indignes,
S’il pouvait en être seulement quitte d’un coeur poignardé ?
Qui consentirait à ployer sous son fardeau,
A grogner et suer sur le fil d’une vie accablée,
Si la crainte de quelque chose après la mort,
Contrée inexplorée d’où nul voyageur jamais s’en retourne,
Ne troublait sa volonté
Jusqu’à finalement préférer endurer des tourments connus
Que s’élancer vers tant d’autres qu’il ignore ?
Ainsi la conscience accouche en nous le poltron,
De sorte que les couleurs vives de la résolution qui se dresse
Blêmissent devant les noirs reflets de la pensée.
C’est alors que le dessein le plus sublime
Au lit de la rêverie se couche
Et, enfin, de l’action porte le deuil.
Je ne sais ce que l’on pensera de cette traduction – si même quelqu’un prend la peine d’y penser. Mais vous savez quoi, elle me plaît à moi. Il me plaît qu’elle soit désormais mienne. Qu’elle soit ce que Shakespeare a écrit en moi, et qui dès lors m’unit à lui.