Le président de la République a hier après-midi prononcé un très grand discours d’hommage aux soldats français assassinés à Montauban et à Toulouse. Un discours résolument républicain.
« C’est l’armée de la République où les soldats quel que soit leur origine, la couleur de leur peau, leur origine, sont prêts à mourir pour la France », a-t-il rappelé avec force. Quelle que soit leur confession, aurait-il sans doute dû préciser également – mais on ne va pas lui tenir grief de ce petit oubli, l’esprit y était.
« Si des communautés ont été prises pour cibles, ce sont des soldats, des enfants, des Français qui ont été assassinés. Ces soldats étaient nos soldats, ces enfants sont nos enfants », a-t-il également souligné, avant de conclure de la manière la plus digne et la plus républicaine qui soit :
Face à la froide sauvagerie d’un homme […], la France rassemblée a donné ces derniers jours une magnifique image de dignité. Cet homme, ce tueur, n’est pas parvenu à fracturer notre communauté nationale. La France a été plus forte que celui qui semait la mort et la douleur sur son passage, car au milieu de cette tragédie, devant ces images, qui nous révulsent, les Français ont pour eux leur dignité et leur conscience. Aujourd’hui, cette dignité et cette conscience sont collectives. Je l’ai dit ce matin en m’adressant à la Nation, nous devons rester rassemblés, nous ne devons en aucun cas céder à l’amalgame. […]. Nous le devons à la mémoire des hommes dont je viens de citer le nom, nous le devons à trois enfants assassinés, nous le devons à toutes les victimes, nous le devons à notre pays. Vive la République et vive la France.
Oui, un grand discours digne d’un président de la République et de sa mission de rassembleur, de garant de la cohésion nationale. Nous en avions perdu presque l’habitude.
Surtout, nous ne saurions plus être dupes. Nous savons de quels amalgames il était là question et nous n’oublions pas que Nicolas Sarkozy ne s’embarrasse jamais de dire une chose et de faire son contraire. Nous n’oublions pas qu’il est l’homme de tous les amalgames et de tous les cynismes, celui qui est entré en campagne avec cette arme-là en bandoulière, en usant sans compter pour braconner sur les terres de l’extrême droite et dissimuler la somme de ses échecs tant sur le plan économique que sur le plan social, tant sur la question du pouvoir d’achat que sur celui de la sécurité, tant sur le chômage – qui a explosé – que sur l’école de la République – qui se retrouve en miettes.
« Nous ne devons en aucun cas céder à l’amalgame », disait-il hier. Mais ce matin, dans le Figaro, Jean-François Copé s’empresse – après d’autres – de perdre toute retenue et toute dignité pour se vautrer au cœur même de l’amalgame le plus détestable. Dès le début de l’entretien le secrétaire général de l’UMP, après avoir souligné que « ce drame renforce notre totale détermination à continuer à lutter par tous les moyens contre la menace terroriste », attaque la gauche et lui reproche d’avoir « si souvent nié la dangerosité [de] toutes les formes de fondamentalisme et d’intégrisme ». Ha bon ? aurait pu se contenter de répondre le journaliste qui conduisait l’entretien. Mais comme nous sommes dans le Figaro, celui-ci entre complaisamment dans le jeu avec une question dont on admirera l’objectivité :
« Nient-ils ce danger par naïveté ou par électoralisme ? » demande le « journaliste » – on croit rêver !
« Tout le monde reconnaît aujourd’hui que le fondamentalisme est un danger pour la République. Pourquoi le PS et les Verts, jusqu’à récemment, nous ont-ils si souvent reproché de mener le combat contre ceux qui instrumentalisent la religion pour justifier des actes injustifiables ? » répond Copé, interrogeant donc à son tour.
Outre que l’on aimerait savoir un peu plus précisément d’une part ce qu’il entend par fondamentalisme, et d’autre part à quel danger pour la République il fait référence, on se demande surtout à quel moment et de quelle manière le PS et les Verts auraient fait ce reproche. Plus encore, où exactement et comment s’est déroulé ce combat ? De quels actes injustifiables parle-t-on. La réponse ne tarde pas à venir : « Ils ont refusé de voter notre loi d’interdiction de la burqa » et « ils ont stigmatisé le débat [sur l’identité nationale] ».
Ou comment en quelques phrase glisser du terrorisme au fondamentalisme, puis à l’identité nationale, et donc au voile islamique. Amalgame, disait-il ? A ce compte-là, on pourrait aussi bien glisser du terrorisme au rite d’abattage halal.
Car enfin, si on peut en effet discuter de la compatibilité du port de la burqa avec les valeurs républicaines, et en particulier avec celles de laïcité – mais pas seulement, la condition de la femme en est une autre -, arguer même que la burqa mettrait en danger la République en faisant reculer la laïcité – mais il ne faudrait alors pas là oublier qu’on parle de quelques centaines de cas et qu’il faudrait hésiter entre réalité du danger et son fantasme -, il est pour le moins détestable de vouloir à toute force nouer un lien qui unirait très étroitement ce fondamentalisme ou cet intégrisme religieux avec le terrorisme, se réclamât-il lui-même également – et abusivement – de l’Islam.
Et en tout état de cause, on ne voit pas bien en quoi mener un débat sur l’identité nationale, qui a lui-même généré à flot les amalgames les plus délétères et dont les musulmans furent la principale cible, et faire voter une loi d’interdiction du port de la burqa qui ne concerne qu’une poignée d’individus, constituerait un combat contre la menace terroriste.
Amalgame, disait-il !
Ce soir, Nicolas Sarkozy tient un meeting électoral à Strasbourg. Gageons qu’après le discours du candidat il ne restera plus rien du discours rassembleur et républicain du président de la République.
Il est impératif de lutter avec la plus extrême vigueur contre la menace terroriste, en fournissant aux services de renseignements, aux services de police et à la justice tous les moyens républicains nécessaires – républicains c’est-à-dire garantissant les libertés publiques et à chacun ses droits, parce que la République ne saurait se sauver en se reniant -, en réprimant avec la plus extrême sévérité les discours appelant à la haine et/ou à la violence et en faisant un peu plus que dire que tous les enfants de France sont les enfants de la République, c’est-à-dire en faisant en sorte qu’aucun ne puisse s’en sentir exclu en raison de son origine et/ou de sa religion.
Dit autrement, à moyen terme, la meilleure arme de défense de la République c’est l’intégration républicaine. C’est donc d’abord l’école de la République, qui a pour vocation de tire vers le haut chacun de ses enfants, plutôt que de les abandonner faute de moyens. Car c’est des enfants abandonnés que le terrorisme nourrit sa folie et fabrique ses monstres.
La droite évoque avec constance l’angélisme de la gauche sur les questions de sécurité. Mais il n’y a aucun angélisme a chercher à comprendre et à expliquer afin de mettre en place des solutions préventives qui seront efficaces. Et il y a, à l’inverse, beaucoup de simplisme à prétendre qu’il suffirait de faire sa grosse voix et montrer ses muscles, qu’il suffirait de réprimer – et dire cela n’est pas dire qu’il ne faudrait pas réprimer, c’est dire que cela ne suffira pas. Penser n’est que très rarement une mauvaise idée.
Je n’ai aucune complaisance pour Mohamed Merah, ce qui lui arrivera m’est désormais absolument indifférent, si ce n’est qu’il faut à la République faire justice (*). En revanche, ce qui lui est arrivé pour qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui importe beaucoup. Comprendre son cheminement est même essentiel si l’on veut autant que faire se peut éviter que cela n’arrive à un autre, c’est-à-dire que l’horreur ne nous arrive encore et nous meurtrisse.
L’échec de la droite, l’échec de Nicolas Sarkozy et de sa politique sécuritaire est là également, dans cette facilité démagogique qu’il y a à se contenter d’amalgames et de simplismes.
(*) A l’instant même où je publie ce billet, on apprend l’assaut final du RAID et la mort de Mohamed Merah. Justice ne sera donc pas rendue. C’est regrettable.