Entendons-nous bien, nous ne sommes plus au XIXème siècle et les libéraux d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec les libéraux d’antan. L’appellation « libéral » a été détournée et dévoyée, récupérée tant et si bien qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’une philosophie politique d’émancipation de l’individu vis à vis du pouvoir politique, mais de la simple revendication économique de s’affranchir des règles sociales vues comme des entraves. Il ne s’agit plus de reconnaître l’individualité du citoyen mais de favoriser l’individualisme de l’entrepreneur. Et la seule liberté que revendique le libéral aujourd’hui est celle de « faire de l’argent ».
Ceci étant posé, je rebondis sur le billet de Nicolas, lui-même ayant rebondit sur le billet d’un blogueur nommé Pierre qui se revendique libéral et explique qu’il ne votera pas cette fois pour Sarkozy qu’il juge finalement trop socialiste. Pauvre petit bonhomme !
A quoi aspire le libéral ? Quelle est son idéologie ? Que revendique-t-il ?
Le libéralisme est une idée simple, si simple qu’elle en est un simplisme : celui qui crée la richesse c’est celui qui entreprend et investit. L’important est de le laisser faire, c’est-à-dire de ne pas l’entraver en lui imposant un salaire minimum, de ne pas l’entraver en limitant sa capacité de licencier, de ne pas l’entraver en accordant des droits aux salariés, ne pas l’entraver en imposant ses bénéfices, ne pas l’entraver en lui réclamant de payer des charges… Ne pas l’entraver, ne pas le faire chier, le laisser libre de faire du fric.
Or charges sociales et impôts sont prélevés par l’Etat et les collectivités territoriales pour payer les retraites, financer la protection sociale, assurance maladie et assurance chômage, pour financer les services publiques tels que l’éducation, la justice, l’hôpital… En conséquence de quoi, afin donc de réduire les entraves qui pèsent sur les entrepreneurs, il est nécessaire d’en finir avec ces besoins de financement.
Moins de services publiques et moins de protection sociale, c’est moins d’impôts et de charges, donc plus de liberté pour les entrepreneurs, c’est-à-dire une capacité accrue à faire de l’argent.
Et pour vendre le modèle, les libéraux prétendent contre toute réalité que plus d’argent pour eux ce serait en fin de compte, à terme, plus d’argent pour tous. C’est la théorie des retombées et il est aisé de démontrer combien ces retombées promises relèvent du chimèrique. Un parfait miroir aux alouettes.
En attendant, sous prétexte donc que ça retomberait, Nicolas Sarkozy a bel et bien cassé le code du travail de manière à réduire les droits des salariés. C’est une réforme d’inspiration purement libérale.
Il a réduit les droits des chômeurs comme les droits des retraités. Deux réformes d’inspiration purement libérale.
Il a baissé les charges pour les entreprises, supprimé la taxe professionnelle, bridé la progression du salaire minimum, réduit les sur-rémunérations associées aux heures supplémentaires, facilité le licenciement… Autant de mesures d’inspiration purement libérale.
Il s’est attaqué violemment au système hospitalier, au système judiciaire, au système scolaire, au point de les rendre exangues, dans l’incapacité de fonctionner. Et l’on pourrait multiplier les exemples du libéralisme aussi forcené qu’idéologique de Nicolas Sarkozy – et plus généralement de la droite française.
Contentons-nous de nous arrêter un peu sur l’exemple de l’école. C’est un bon exemple pour décrire comment procède le libéralisme pour parvenir à ses fins.
D’abord, casser.
Supprimons quinze à vingt mille postes par an dans l’éducation nationale. Supprimons en particulier les RASED (Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté), et aussi réduisons les postes d’infirmières scolaires, les postes de psychologues scolaires et plus généralement tout le personnel qui bénéficie le plus aux élèves en difficulté. Prenons bien soin, dans le même ordre d’idée, de répartir les suppressions de postes de manière à ce qu’elle pèse davantage sur les établissements situés dans les zones les moins favorisées.
Tout ceci est précisément ce que la droite s’est appliquée à faire depuis dix ans, un processus de casse qu’en cinq ans Nicolas Sarkozy s’est appliqué à accélérer.
Au résultat, les difficultés s’accumulent, plus rien ne fonctionne, les élèves en difficultés se retrouvent abandonnés, les professeurs sont découragés, désormais quand un professeur est absent il est impossible de lui trouver un remplaçant – dans un établissement de mon quartier, au lycée Hélène Boucher, une classe de première n’a pas eu de professeur de français de toute l’année (les élèves passent le bac dans un mois)…
Les parents sont excédés. De plus en plus d’entre eux font le choix, quand ils en ont la possibilité, de se tourner vers les établissements privées. Lesquels sont eux-mêmes au bord de la rupture et réclament des moyens supplémentaires.
Que croyez-vous que serait l’étape suivante, si Sarkozy était réélu ?
Le constat serait fait de la médiocrité crasse d’un système d’enseignement public qui coûte cher et ne fonctionne plus. Conclusion serait tirée qu’il est devenu préférable de financer le développement de l’enseignement privé – moins cher puisque financé aussi par les familles, celles qui en ont les moyens…
Un système à deux vitesses serait créé, accélérant la dégradation d’un système public dépourvu de moyens et abandonné par ses meilleurs éléments, élèves et professeurs, qui choisiraient de rejoindre le privé.
Le budget de l’Etat s’en retrouverait allégé d’autant. Les besoins en impôt en serait diminué. Ce qui était l’objectif de l’opération.
Et tant pis pour les familles qui se retrouveraient à devoir débourser des sommes considérables pour assurer la scolarité de leurs enfants. Tant pis pour les enfants dont les parents n’en auraient pas les moyens.
C’est précisément ce qui s’est produit, avec vingt ans d’avance, en Grande Bretagne sous l’impulsion de Thatcher et aux Etats-Unis sous celle de reagan. Les résultats furent si désastreux qu’ils en sont encore aujourd’hui à chercher comment reconstruire ce qui avait alors été cassé – mais il est bien plus aisé de casser que de reconstruire.
Thatcher et Reagan dont personne ne viendrait contester qu’ils étaient de purs libéraux et dont Sarkozy s’est montré à l’évidence un élève plus qu’appliqué.