Donc il suffirait de dire : « Allez, on revote et cette fois-ci, soyez tous bien sages : pas de triche hein ! » ?
Mais oui, il suffisait de le dire ! On avait simplement oublié, c’est balot. N’est-ce pas ?
Donc voilà, on re-vote mais on dit avant « Hey les gars, cette fois pas le droit de tricher, hein ! » Et hop ça change tout, les tricheurs ne trichent plus – la première fois, ils ne le savaient pas qu’on avait pas le droit – et cette fois, donc, le résultat du re-vote est irréprochable.
C’est tellement simple la démocratie, il suffit de bien énoncer les règles du jeu. On se demande bien comment on n’y avait pas pensé avant…
Dites, Ségolène Royal et sa petite équipe ne seraient pas plutôt en train de nous mijoter une petite entourloupette là ?…
Allez, je vous explique la grosse manoeuvre :
Etape 1 – S’apercevoir très tôt dans la soirée de vendredi que le résultat sera très serré, de l’ordre de la centaine de voix sans doute et en tout cas en-dessous du 1%. Lancer immédiatement la première salve d’intox : laisser filtrer dès la clôture du vote que Ségolène Royal est largement en tête, avancer tout haut des 52 et des 53% en sa faveur. Puis faire confirmer le tout par François Rebsamen – numéro deux du parti, tout de même.
Les autres, du coup, avec leur « bah non, pour nous c’est du 50/50 et sans doute Aubry devant », ils ont vraiment pas l’air malin. Personne ne prend garde à ce qu’ils disent, sont pas crédibles. Et les médias, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, d’annoncer la victoire de Ségolène Royal avec 52 ou 53% des suffrages.
C’est que 52 ou 53% des suffrages, ça ne se remonte pas. C’est tout de même plus de 5000 voix d’écart !
Alors forcément, quand on apprend que c’est du 50/50… Il ne suffit plus que de laisser fleurir le doute. L’y aider même un peu en laissant entendre que,, par exemple, dans le Nord aubryiste, il y a des sections qui ont participé à 95% – qu’importe si les sections en question comptent moins de 50 adhérents, qu’importe si ailleurs en France, sur des terres royalistes, on trouve facilement des sections qui sont dans le même cas -, puis de comptabiliser des « erreurs » (avec guillemets apparents) en faveur de Martine Aubry – qu’importe si ce ne sont éventuellement que des erreurs, qu’importe s’il y a des erreurs qui vont dans l’autre sens, qu’importe surtout que ça ne concerne chaque fois qu’une dizaine de voix.
Oui qu’importe, les 5000 voix dont on a parlé au début, et que rien de tangible ne vient étayer, font tout de même effet dans les esprits : le soupçon d’une fraude massive est non seulement distillé, mais on a également très fortement laissé entendre qu’il serait à sens unique. CQFD : les bons / les méchants, la victime/ les bourreaux… Un grand classique de la ségolénie qui a également permis, déjà depuis longtemps, de faire oublier que Ségolène Royal a longuement fréquenté les allées du pouvoir mitterrandien, a été cinq fois ministre et est de toute les majorités internes du Parti Socialiste depuis une bonne vingtaine d’années.
Etape 2 – Envoyer ses lieutenants au charbon – Ségolène est oecuménique, elle ne peut tout de même pas faire le sale boulot . A charge pour eux (on nommera Manuel Valls et Julien Dray) d’en faire des tonnes sur tous les plateaux de radio et de télévision, à charge pour eux d’user de tous les moyens pour bien donner à entendre que les autres sont rien que des vilains tricheurs.
Qu’importe donc que la réalité soit toute autre, que chaque camp possède ses petits barons locaux tripatouilleurs d’urnes. Et qu’importe aussi que dans chaque camp, disons-le tout de même, il ne s’agisse que d’un comportement ultra minoritaire – qui ne saurait par exemple réduire à néant plusieurs milliers de bulletins. Qu’importe même que l’ensemble des procès verbaux dans chaque section et dans chaque fédération aient été signés par des scrutateurs de chaque camp. Qu’importe enfin que le Parti Socialiste soit tout de même le parti de France où la démocratie se porte encore le mieux – et ce n’est en tout cas pas de la droite que pourrait venir un contre-exemple de cette réalité là.
Et c’est ainsi – je le signale en passant – que fleurissent aujourd’hui sur les blogs ségolénistes des vignettes « Martine change les résultats », accréditant l’idée fausse que seul un camp serait en cause dans les dysfonctionnements de la démocratie au PS, accréditant par là même l’idée toute aussi fausse que sans de tels dysfonctionnement Ségolène l’aurait emporté largement.
Qu’importe donc puisqu’il s’agit de bien donner à penser que Ségolène Royal serait une fois encore la victime d’un Parti pourri jusqu’à la moelle, tous ses opposants n’étant qu’une cohorte d’ogres qui n’ont d’autres ambitions que de dévorer une innocente dont la blancheur par contraste étincelle plus mille étoiles dans le ciel. Faire oublier aussi qu’en tout état de cause, aucune erreur ou fraude n’est d’ampleur suffisante pour qu’on s’écarte de la situation d’égalité dans laquelle les militants ont placé non seulement Martine Aubry mais aussi, voyez comme c’est étrange, Ségolène Royal. Faire oublier qu’en tout état de cause elle ne l’a pas emporter – et on se souviendra là que pour elle les présidentielles ne s’étaient déjà pas soldé par une défaite, mais bien par ce qu’elle appela « une non- victoire »…
Etape 3 – Nier donc la réalité démocratique de ce match nul [sic…] et demander un re-vote au prétexte d’irrégularités qui ne remettent pourtant pas en cause la situation d’égalité..
Et là c’est Ségolène Royal qui s’en charge. Réclamer plus de démocratie c’est son job. Et puis, sachant bien qu’elle sera derrière, se permettre de se montrer magnanime : « Mais oui ! re-vote même si c’est moi qui obtiens dix voix d’avance voyez comme je suis la très très gentille de toute cette histoire ».
Si alors revote il y avait – mais il n’y aura pas -, il s’agirait d’oublier définitivement la politique, le débat d’idées, la question de la ligne politique et de celles des alliances, pour demander aux militants une opération mains-propres et donc un plebiscite en faveur de la très innocente victime de l’insupportable acharnement des méchants méchants qui veulent rien qu’à éliminer la très très gentille Ségolène Royal et par tous les moyens même les plus vils.
De cette manière, l’espoir serait dans le fait qu’un tel re-vote ne produirait pas une nouvelle égalité, laquelle serait en ce cas tout aussi contestable que la première fois, puisqu’il y aurait de part et d’autres de nouvelles irrégularités – c’est que, voyez-vous, les tricheurs ne sont malheureusement pas toujours très obéissants. Il s’agit en réalité, vous l’aurez compris, de ce fameux Rien Sauf Royal qu’une égalité ne saurait satisfaire.
Et s’il n’y avait pas re-vote, il suffirait alors de passer les prochains mois, voire les prochaines années, à prétendre que Ségolène la tant gentille démocrate avait en réalité gagné – rassurez-vous, les mythiques 5000 voix d’avance saurait à force devenir réalité – et que les autres sont en vérité illégitimes – en sus bien sûr d’être toujours très très méchants méchants.
Et pourtant, quelque soient les irrégularités – lesquelles se répartissent sur chaque camp et ne sauraient concerner plus d’un demi pourcent des suffrages exprimés -, le résultat du vote des militants est limpide : E-GA-LI-TE E-GA-LI-TE E-GA-LI-TE ! Et l’erreur magistrale du camp Martine Aubry aura été de n’avoir pas su le reconnaître – tant de ce côté là le Tout Sauf Royal est tout aussi puissamment à l’oeuvre – Monumentale erreur tactique que de vouloir s’accrocher à ces 42 voix d’écart qui n’ont aucun sens, qui n’a fait que renforcer le camp Royal dans sa propre stratégie.
Ségolène Royal comme Martine Aubry, l’une et l’autre ont la responsabilité de faire avec ce résultat. Il ne s’agit ni de revendiquer pour l’une la victoire, ni pour l’autre de réclamer un nouveau vote, mais d’assumer une situation imposée par l’expression démocratique de la volonté partagée des militants. J’ai pour ma par ma petite idée de comment cela pourrait se faire, mais c’est d’abord à elles d’en décider : elles se mettent autour d’une table, discutent, éventuellement en viennent aux mains, se rassoient, se recoiffent, discutent encore, négocient le temps qu’il faut et trouvent une solution !
Et pour ceux qui n’auraient pas tout à fait perdu le goût de la politique par les idées, je signale cette excellente analyse de Gérard Filoche de la mutation qui est à l’oeuvre au Parti Socialiste et dont le noeud gordien s’est noué à l’occasion du congrès de Reims et qu’il s’agira bien de trancher.
Où l’on parle de : Opération intox