Fév 132008
 

S’émouvoir, se révolter et puis agir

Laissez-les grandir ici !Après une information sur la situation de la famille, OQTF (Obligation à Quitter le Territoire Français) prononcée, plus de logement, plus d’école depuis 2 semaines pour Alexandre (3ème) et Gévorg (CP), Laure, la maîtresse de Gévorg à l’école Grangeneuve à crié sa colère, sa détresse et sa révolte :

Je suis la maîtresse de Gevorg, le fils de Karin et Armen, qui est arrivé en CP dans ma classe l’an dernier. Je suis la maîtresse de Gevorg qui a disparu de ma classe vendredi 16 novembre en laissant toutes ses affaires, même ce gros bâton de colle dont il est si fier.
Je suis la maîtresse de Gevorg et d’autres encore dans la même situation, qui voient sa chaise vide tous les jours et qui savent que leur tour peut arriver.

Je suis la maîtresse de 22 enfants de 6 ans qui apprennent qu’en France un enfant peut être obligé de s’enfuir de nuit avec sa famille parce qu’il n’est pas français.
Je suis une maîtresse qui doit enseigner à 22 enfants, qu’on est tous égaux, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, que les lois sont faites pour nous protéger, que c’est ce qu’on appelle les droits de l’homme dont on est si fier en France.
Je suis une maîtresse qui doit arriver à faire comprendre à 22 enfants que l’on doit résoudre les problèmes en s’expliquant, et que lorsqu’on est dans dans son droit on sera écouté et protégé… « parce que c’est ça la justice, hein maîtresse ? »

Je suis la maîtresse d’autres enfants sans papiers qui me regardent faire l’appel sans Gevorg et qui continuent à apprendre à lire dans la langue d’un pays qui ne veut pas d’eux.
Je suis une maîtresse parmi tant d’autres qui devraient tous les jours essayer d’expliquer l’inexplicable, accepter l’inacceptable, et ravaler cette rage et ce dégoût d’être la fonctionnaire d’un Etat qui mène une chasse à l’homme abjecte et dégradante.

Aujourd’hui je voudrais vous faire comprendre à quel point mes collègues et moi-même sommes choqués par ces drames humains, par cette politique de chiffres, de pourcentages et de quotas appliquée à des personnes, des hommes, des femmes et des enfants.

Je voudrais vous faire comprendre à quel point cette souffrance engendrée par cette politique, devient ingérable, insupportable pour nous, comme pour les enfants et les familles concernées. Je voudrais vous dire à quel point nous avons mal devant ces bureaux vides, ces cahiers abandonnés et ces stylos que personne ne vient réclamer.

Je voudrais vous dire à quel point j’ai peur d’arriver en classe et d’avoir perdu Gevorg ou Alexandre ou un autre encore, parce que, non, ce ne sont pas des numéros ou des quotas, mais parce que je les connais, je connais leurs sourires, je connais leurs yeux.

Nous n’en pouvons plus de nous taire et de voir des familles en danger rejetées en toute connaissance de cause ! Nous n’en pouvons plus de nous demander en permanence ce qui va leur arriver là bas !
Nous ne voulons plus être complices de non assistance à personne en danger.

Je voudrais vous faire partager cette réflexion de William Faulkner : « Le suprême degré de la sagesse est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit. » Alors merci à tous d’être là et de partager le rêve de Karin, Armen, Alexandre Gevorg et Grigory leurs enfants : vivre sereinement auprès de nous, venir chaque matin à l’école, et que ce rêve, avec eux et avec tous ceux qu’on veut chasser hors de notre pays, on ne le perde pas de vue.

Laure Véziant, professeur des écoles à Montélimar

Que faire pour que ça cesse ? Se mobiliser, ensemble. Joindre RESF – il y a une antenne locale proche de chez vous. Signer le manifeste des innombrables – voir ci-dessous. Ouvrir les yeux, s’informer. Ecrire aux autorités, aux préfets, se mobiliser sur chaque cas, exercer une pression citoyenne – l’expérience montre que c’est très utile. Ne pas se résigner, ne pas les abandonner, défendre une certaine idée de la France, c’est-à-dire une certaine idée des Droits de l’Homme, une certaine conception du respect de la dignité humaine, du droit des enfants à ne pas avoir peur, pour leurs parents et pour eux-mêmes, ne pas avoir à se cacher pour grandir ici, c’est-à-dire là où ils sont, dans nos villes et dans nos écoles qui sont aussi bien les leurs. Voter, aussi…

Manifeste des innombrables

Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros.

Article L622-1 CODE DE L’ENTREE ET DU SEJOUR DES ETRANGERS ET DU DROIT D’ASILE

Je déclare comme des milliers d’autres personnes résidant en France avoir soutenu, soutenir actuellement et/ou être prêt à soutenir un jeune majeur scolarisé, un enfant et sa famille, étranger privés du droit au séjour, pour leur permettre de poursuivre leur vie en France dans la dignité.

Au nom de l’Humanité, je continuerai à aider des personnes dites sans-papiers à faire face aux décisions arbitraires et brutales qui brisent leur avenir et violent leurs droits fondamentaux.

Je déclare refuser de me plier à des mesures indignes et inhumaines et agir ainsi, comme d’autres innombrables l’ont fait en d’autres périodes de l’histoire, en accord avec les principes du droit international qui protègent les migrants, les droits de l’enfant et la vie privée et familiale, comme avec les valeurs universelles de fraternité, d’égalité, de liberté et d’accueil dont se réclame notre République.

Je soussigné(e)….

Nom et prénom :

Adresse :

Date :

Signature :

Ce manifeste est à télécharger sur le site RESF, ou à retirer auprès des collectifs RESF locaux, ou simplement à recopier sur une feuille libre. Puis il est à renvoyer, complété et signé à l’adresse suivante :

RESF

c/o EDMP

8 Impasse Crozatier

75012 PARIS

En signant ce manifeste, vous affirmerez un soutien actif à ceux qui sont poursuivis, vous prendrez un engagement personnel qui va bien au-delà d’une simple pétition, vous affirmerez que s’en prendre aux étrangers, c’est s’en prendre à nous mêmes ; que défendre leurs droits, c’est défendre les nôtres !

Réagir, et puis agir. Maintenant.

contact RESF
agissez – prenez contact avec RESF

permalien de l’article : Traque des sans-papiers : Lettre ouverte d’une maîtresse révoltée