Juin 232007
 

Mais au fait, c’est quoi « la gauche » ?

La gauche a perdu la bataille des présidentielles 2007. Il semble d’ailleurs que ce soit aujourd’hui le seul constat que nous sommes à même de tous partager. Ce simple fait suffit amplement à illustrer l’état de décomposition avancée dans lequel se trouve aujourd’hui la gauche. Il en est un autre pourtant, sur lequel nous devrions tous être d’accord, c’est qu’il s’agira de l’emporter en 2012, qu’il nous faut dès maintenant nous mobiliser pour y parvenir, choisir un chemin, une méthode, donc d’abord comprendre ce qu’il s’est passé.

Avançons pas à pas, et pour commencer posons cette évidence : la gauche a perdu parce qu’une majorité d’électeurs a préféré Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal, parce qu’une minorité seulement a préféré notre candidate au candidat de l’UMP. Laissons de côté les raisons de la victoire de Sarkozy (peu importe la force de l’adversaire, il ne s’agit que d’être plus fort que lui) et envisageons les raisons de la défaite de Ségolène Royal et de la gauche.

D’abord le premier tour – parce qu’une élection se joue sur deux tours. La gauche s’est présentée devant les électeurs français avec sept candidats et a totalisé un gros tiers des voix (36%). Voici une bonne mesure de l’état de délabrement de la gauche. La candidate socialiste ayant à elle seule recueilli 26% des suffrages, il apparaît clairement que les raisons de la défaite sont à chercher aussi ailleurs qu’au PS – sauf à penser qu’il lui faudrait gagner seul. Mais le PS ne doit pas non plus se voiler la face : les 9 millions d’électeurs qui se sont portés sur Ségolène Royal ne sont pas uniquement constitués de français dont l’enthousiasme pour la candidate serait sans nuance. C’est une évidence, beaucoup parmi eux auraient préféré avoir à voter pour un Strauss-Kahn, d’autres pour un Fabius. Surtout, l’exigence de ne pas voir se renouveler un 21 avril de sinistre mémoire aura convaincu un nombre significatif de français de voter socialiste afin d’assurer une présence de la gauche au second tour.

Et il y eut donc un second tour – et ce fut donc plus un soulagement, plus un retour à la normale surtout, qu’une victoire à mettre au crédit de Ségolène Royal, même si l’on ne peut lui enlever d’avoir au moins réussi ça. Mais à quel prix ? Si l’honneur de la gauche fut rétabli, le second tour se solda par une défaite, Ségolène Royal ne réunissant en son nom que 47% des suffrages et 17 millions d’électeurs. Disons-le ici tout net, personne ne peut prétendre qu’un autre candidat socialiste aurait été à même de faire mieux ou moins bien. Il ne sert d’ailleurs à rien qui soit constructif de poser cette question, on ne doit analyser une défaite qu’à partir de ce qui a été, en aucun cas en envisageant très hypothétiquement ce qui aurait pu être.

Il s’agissait de Ségolène Royal, de son pacte présidentiel – c’est-à-dire quelque chose de très proche du projet élaboré par le parti socialiste quelques mois plus tôt –, d’un discours pour porter le projet et d’un collectif pour relayer le discours. Pour ce qui me concerne, si Ségolène Royal a probablement pâti d’être une femme – il s’agit en particulier du procès en incompétence qu’on n’a cessé insidieusement, et odieusement, de lui intenter tout au long de la campagne –, je considère qu’elle réunissait en sa personne bien des atouts : féminité et compétence, mais aussi nouveauté, séduction, caractère, autorité, indépendance d’esprit, et même charisme. Bien qu’en matière de charisme, je ne sois pas tout à fait convaincu tant il lui manque les qualités de tribun : son débit n’est guère à même d’emporter à lui seul l’enthousiasme des foules.

Pour ce qui est du pacte présidentiel, je ne pense pas qu’on puisse là non plus trouver les raisons profondes d’une défaite. Il y avait dans ce projet de l’ambition, une cohérence et, surtout, un véritable ancrage à gauche. Ceci dit sans prétendre à sa perfection, assez loin de là en réalité, mais il y avait là de quoi rassembler le peuple de gauche et au-delà. Non, pour moi, le fond du problème est à chercher dans le discours et dans le collectif.

Ségolène Royal, reprenant à son compte une stratégie de campagne devenue monnaie courante dans les pays anglo-saxons et qui a montré son efficacité, a fait le choix de coller au plus près au discours de la droite afin de réduire à la portion congrue l’espace politique de celle-ci. Les thématiques de la valeur travail, de l’identité nationale et de l’ordre juste que Ségolène Royale a abondamment développées sont en la matière tout à fait illustratives. Ce fut un échec et ce pour deux raisons majeures.

En premier lieu Sarkozy n’a cessé durant la campagne de premier tour d’élargir son espace politique sur sa propre droite, ce qui au final a donné le très désagréable sentiment d’une Ségolène Royal courant après Nicolas Sarkozy, lui-même courant après Jean-Marie Le Pen. De toute évidence, la course de la première était dès lors tout à fait vaine.

En second lieu, une telle stratégie n’a de chance d’être gagnante que si l’on est par ailleurs assuré de ses propres fondements. Il n’est envisageable d’aller défier l’adversaire sur ce qui est a priori son propre terrain que si l’on a des attaches solides sur son propre sol. Or la gauche, faute d’avoir pris le temps nécessaire pour réfléchir à elle-même, est bien incapable de dire qui elle est, ou ce qui la fonde. Ainsi, si le travail ou le drapeau sont des thématiques politiques que la gauche a raison de contester à la droite, cela ne peut se faire au cours des quelques mois d’une campagne électorale. Il faudrait avoir eu la volonté de mûrir une réflexion de fond qui puisse être à même de nourrir le discours. Il aurait fallu un corpus idéologique fort et aux contours parfaitement définis afin de pouvoir s’y référer. Faute d’avoir fait cela, il apparaissait que la gauche se définissait par le simple fait de ne pas être la droite. Non seulement c’était un peu court, et assez flou, mais cela rendait suspectes les incursions de Ségolène Royal sur ce qui apparaissait être le domaine réservé de la droite.

Pour ce qui est du collectif, là encore c’est le flou qui a dominé. Ce fut tout au long des mois qui ont précédé les élections, la grande foire de la gauche et le règne tout puissant de l’amateurisme. Non seulement la gauche est apparue divisée, non seulement le parti socialiste était incapable de se rassembler et de faire corps derrière sa candidate, mais l’équipe même de Ségolène Royal semblait également naviguer à vue. Plutôt que de chercher à personnaliser les responsabilités de la division, de stigmatiser tel ou tel, il m’apparaît que ce qui explique ce climat délétère au sein de la gauche est à rechercher là encore en ce que la gauche est aujourd’hui une coquille vidée de sa substance, de son liant. Nous ne savons même plus ce qui est susceptible de nous rassembler, donc de nous accepter mutuellement au-delà de nos divergences. Il y a la droite de la gauche, la gauche de la gauche, la gauche de la droite de la gauche, la gauche libérale et la gauche gauchisante, l’alter gauche et la gauche caviar, la gauche sociale et la gauche sociétale, la gauche coco et la gauche caca (vous savez, les socio traîtres… ), mais la gauche, elle, n’existe plus, ou semble ne plus exister en tant que telle et par elle-même.

Pourtant, il existe bel et bien, lui, le peuple de gauche. Peuple orphelin et errant, en quête de sens, toujours prêt cependant à faire corps et à se dresser puissamment devant les plus mauvais coups que cherche à porter la droite. Choisissez dans ce peuple deux individus au hasard et placez les face à face : ils se flaireront deux minutes l’arrière-train, puis se reconnaîtront. Faites-les parler de leur vision du monde, de leurs aspirations et de leurs espérances,de leurs colères et de leurs inquiétudes, ils se reconnaîtront encore, et s’aimeront sans doute. Demandez-leur d’évoquer leurs options politiques et toute cette cordialité tournera bien vite au pugilat. Ce sera un socialiste et un communiste, dont deux traîtres. Ce sera un Vert et un alter-mondialiste, dont deux traîtres. L’un LCR et l’autre LO : deux traîtres. L’un Voynet et l’autre Lipietz : deux traîtres. L’un DSK et l’autre Fabius : deux traîtres. L’un Royal et l’autre Hollande : deux traîtres… la gauche ne sait plus se parler ni s’écouter, parce que ce qui divise est devenu plus fort que ce qui rassemble, parce qu’elle a oublié ce qui rassemble, parce qu’elle ne sait plus qui elle est.

Voilà pourquoi, avant toute chose, la gauche a besoin de retrouver ses fondations et probablement de les renouveler. Elle a besoin de bases solides, sans quoi il sera impossible de construire quoi que ce soit de solide et de durablement solide. Qu’est-ce que la gauche française aujourd’hui ? Comment la définir ? Quel est son socle, son fondement, son essence ? Quelles sont ses objectifs, aussi ? Voilà ce qui doit constituer nos préoccupations, pour l’heure, exclusivement et hors toute considération de personnes, sans en exclure a priori aucune et dans le respect des divergences.

Et d’ailleurs, si l’on s’y arrête un instant, est-ce si difficile de tomber d’accord sur le fait que la gauche est quelque part dans l’ambition de redistribuer la richesse économique, de produire de la justice sociale, de favoriser l’égalité des chances, de permettre à chacun son épanouissement personnel dans un vivre ensemble harmonieux ? Encore faut-il donc prendre le temps de s’y arrêter, ensemble. Prendre le temps de vivre la gauche.

Et puis, il y a aussi Gilles Deleuze qui donnait un excellent point de départ : « Etre de gauche, c’est percevoir le monde d’abord » – lire ici et voir

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