Au coeur de la tragédie, la dignité est de mise. Et chacun a raison de se garder de toute récupération politique. Cependant, la dignité, le respect dû aux morts et à la douleur des familles n’imposent pas le silence. Bien au contraire, il est essentiel de dire. Dire posément, avec mesure et retenue, mais dire.
Il ne s’agit pas de récupérer politiquement un évènement qui ne le serait en aucune manière, il s’agit de reconnaître en lui sa dimension politique et ce que celle-ci nous dit de l’état de la cité dans laquelle nous vivons, de son organisation. Il ne s’agit pas d’être politicien mais d’accepter d’être politique, de parler politique, c’est-à-dire des choix que nous avons à faire en commun et qui concernent chacun d’entre nous.
Qu’est-ce que le sarkozysme ?
L’affrontement politique entre la droite et la gauche n’est pas nouveau. Il est et a toujours été, depuis que le débat démocratique existe, le reflet de deux conceptions divergentes de l’organisation économique et sociale de la cité. Ce qui est nouveau, et qui dépasse assez largement l’affrontement traditionnel entre la droite et la gauche, c’est le sarkozysme, une conception de la politique et de l’exercice du pouvoir qui repose sur la mise en tension systématique de tous les liens sociétaux, quand toute parole prononcée a pour vocation à faire naître ou entretenir une situation conflictuelle, entretenir une situation sinon de peur, du moins de suspicion généralisée à l’égard de l’autre. Susciter l’angoisse et, simultanément, dessiner de soi et en creux le portrait de l’homme fort qui saura protéger.
Le sarkozysme est un anxiogène qui se propose comme anxiolytique.
Mais voyez plutôt comme Nicolas Sarkozy s’est adressé cet après-midi même aux enfants après qu’il avait observé en leur compagnie une minute de silence à la mémoire des trois enfants et du professeur tués hier à Toulouse, parce qu’ils étaient juifs – et observez d’abord comme il réclame le micro après que la directrice avait remercié tout le monde :
Ça s’est passé à Toulouse, dans une école confessionnelle, avec des enfants de famille juive, mais ça aurait pu se passer ici. Il y aurait pu avoir le même assassin. Ces enfants sont exactement comme vous. La victime n’y est pour rien. Et c’est très important de penser à ces enfants, à leurs familles. Et c’est très important de réfléchir au monde tel qu’il est, tous ensemble, dans l’école de la République. Voilà.. Ces enfants avaient 3 ans 6 ans et 8 ans. Et l’assassin s’est acharné sur une petite fille. Il faut réfléchir à ça.
Il ne pouvait seulement s’agir pour lui de se recueillir, de penser aux victimes et à leurs proches, il fallait générer un sentiment d’insécurité – et tant pis si pour atteindre les parents-électeurs, il fallait en passer d’abord par leurs enfants. Faire peur, susciter l’angoisse, et puis se poser en protecteur.
Et au passage, comment ne pas noter dans la psychologie de cet homme une incapacité à la solidarité, comme s’il n’était pas possible de penser aux victimes pour ce qu’elles ont vécu et qui est leur tragédie autrement qu’en imaginant que celle-ci aurait pu nous arriver, à nous plutôt qu’à elles. Voilà un homme qui se rendant à un enterrement pleure à chaudes larmes parce qu’il prend conscience que lui aussi va mourir. C’est pathétique.
Faire peur, susciter l’angoisse, et puis se poser en protecteur. Faire peur, diviser, opposer, stigmatiser. Jouer avec le feu xénophobe. Feindre d’ignorer que les sentiments racistes et antisémites sont en France, certes minoritaires, mais encore bien vivaces. Et puis en tirer profit.
Et il faudrait se taire, ne pas dire combien ce jeu est dangereux ? Se taire, c’est pourtant le début d’une complicité.
Peut-on au moins s’interroger ?
Pourra-t-on à l’occasion de cette campagne électorale, sans se faire taxer de procéder à la récupération politique d’une tragédie, dire que le choix auxquels les Français ont à faire face est aussi celui qui se situe entre une politique de la tension et une politique de l’apaisement ? Entre un candidat qui joue la stigmatisation et un candidat qui mise sur le rassemblement ? Entre un homme qui est dans l’outrance et un homme qui est dans la mesure et la pondération ?
Pourra-t-on à la fin rappeler que c’est en semant le vent qu’on récolte la tempête ?! Car le sarkozysme, ça n’est finalement que cela, une machine à entretenir les vents mauvais. Une machine particulièrement dangereuse et qu’il est plus que temps de mettre au rebut. Avant que pire ne survienne.