J’avoue, je ne l’avais pas vu venir.
Pourtant, comme beaucoup, ça fait longtemps que je m’attends à un coup tordu pour l’entre-deux tours. Parce que Sarkozy nous a appris que cultiver un brin de paranoïa n’est pas nécessairement une mauvaise idée. Mais je ne l’avais pas vu venir.
Le coup tordu, cet élément qui semble survenir de manière exogène et qui ferait basculer l’élection.
Heureusement, Romain est plus perspicace que moi, qui envisage que le coup pourrait partir à l’occasion du 1er Mai. Ce qui est plutôt très bien vu si l’on considère avec lucidité où nous en sommes arrivés :
- Au soir du premier tour, François Hollande est devant et apparaît arithmétiquement comme le grand favori du second tour, au point que beaucoup de commentateurs avertis ressassent depuis que, sauf évènement imprévu donc improbable – comme disait François Mitterrand -, la gauche tient sa victoire ;
- Au soir du premier tour encore, Marine Le Pen est quant à elle forte de 18% des suffrages et de près de six millions et demi d’électeurs ; le Front National apparaît comme le seul réservoir de voix suffisamment conséquent pour éviter à Sarkozy une débacle, voire d’espérer encore en un renversement sur le fil d’une situation en apparence désespérée ;
- Au soir du premier tour, Nicolas Sarkozy annonce la couleur, il ne reculera devant aucun reniement et s’en ira sans vergogne s’approprier les thèmes aux relents xénophobes du Front National afin d’attirer à lui ses électeurs ; plus que jamais il va cliver, jouer de la division des Français, exacerber les peurs et les haines, creuser le sillon de la discorde – une stratégie de la tension qui lui a toujours été chère ;
- Le lendemain matin, on apprend que Nicolas Sarkozy appelle ses partisans à un grand rassemblement le 1er Mai, afin de fêter le vrai travail – les syndicats et les fonctionnaires sont clairement dans sa ligne de mire, il n’a eu de cesse depuis de les provoquer davantage ;
- Depuis lors aussi, Nicolas Sarkozy a déclaré que le Front National était compatible avec la République et repris à son compte bon nombre de ses propositions : restriction de l’accès des mineures à la contraception ; présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre ; peine de perpétuité réelle pour les criminels les plus dangereux… et tout laisse à penser que d’autres viendront encore garnir la besace d’un candidat sans projet, ce fourre-tout dans lequel s’accumulent et s’entassent opportunément et sans cohérence les propositions de Nicolas Sarkozy depuis son entrée en campagne ;
- Nicolas Sarkozy a également pris grand soin de caricaturer jusqu’au mensonge les propositions de François Hollande, tant sur la régularisation des sans-papiers que sur le vote des immigrés aux élections locales, et lui a même inventé les soutiens de 700 mosquées et celui de Tariq Ramadan ; tout cela étant d’évidence manière de faire peur sur le dos des musulmans, quitte à les stigmatiser encore davantage.
Voilà pour le tableau – et il reste encore quelques jours avant le 1er mai pour parachever l’oeuvre, pour instaurer toujours plus profondément un climat anxiogène et d’affrontement. Ce que cherche Nicolas Sarkozy est de radicaliser les deux camps en les caricaturant. D’un côté, les syndicats et les fonctionnaires, les assistés et les chômeurs, les fraudeurs et les musulmans, les soixante-huitards dégénérés et les jeunes des quartiers défavorisés, tout ce que la gauche comporte d’inconséquence et de laxisme. De l’autre, les bons Français, attachés à des valeurs et à un mode de vie, travailleurs honnêtes et amoureux de la Patrie. Aux électeurs du front National alors de choisir leur camp, leur famille politique…
Or donc, le 1er mai, se trouveront simultanément dans les rues – de Paris et d’ailleurs -, d’un côté les défilés traditionnels à l’appel des syndicats, de l’autre les rassemblements sarkozystes pour le « vrai travail ». Et au milieu, le Front National, qui pour sa part sera là pour faire sa fête à Jeanne d’Arc. Tout un petit monde chauffé à blanc par les bons soins de Nicolas Sarkozy, au point que l’étincelle ne devrait pas être bien grosse qui conduirait à ce que tout s’enflamme et que la logique de l’affrontement initiée par Nicolas Sarkozy parvienne à son paroxysme.
Une petite étincelle ? Disons par exemple quelques casseurs par ici, deux trois provocations policières par là…
Imaginons maintenant la fameuse majorité silencieuse contemplant le soir-même à la télévision des images d’émeutes, quelques voitures qui brûlent, des vitrines brisées, des commerçants en colère au milieu de la fumée des lacrymogènes…
Qui pensez-vous parviendrait à tirer le plus grand profit de telles images, quelques jours plus tard, à la faveur d’une élection où l’on serait parvenu à installer un écran de fumée constitué de peurs et de colères et qui dissimulerait très opportunément les questions pourtant essentielles du chômage et du pouvoir d’achat, ainsi que le bilan catastrophique d’une présidence, les promesses non tenues d’un président sortant, et l’absence de projet du candidat à sa propre succession ?
Le 1er mai, en même temps qu’un brin de muguet, achetez-vous donc un brin de sagesse. Le 1er mai, nous n’aurons plus que six jours à tenir.