Participatif mais presque
A propos de l’initiative de Ségolène Royal pour un Congrès Utile et Serein en dix questions, Marianne2.fr a commis aujourd’hui un « Royal veut bien débattre. Surtout avec les Bisounours » qui, je l’avoue, m’a fait doucement marrer. Le ton est caustique, limite méchant, mais sur le fond, en effet, cette initiative « participative » a de quoi interroger.
D’abord, en effet, vous je sais pas, mais moi je trouve que « congrès utile et serein » ça fait un peu campagne de com’ pour un congrès des bisounours… Dans le même ordre d’idées, on pourrait tout aussi bien faire porter un badge à nos sportifs « pour des JO joyeux et victorieux », Sarkozy lancerait un appel « utile et serein » aux FARCS, Xavier Darcos supprimerait des milliers de postes d’enseignants pour une « Ecole de la république qu’elle sera plus belle demain » et Patrick Sabatier s’enverrait de nouveau une bouteille de Contrex en affirmant « Moi, ça va fort ! ».
Mais on me dira que ça c’est du détail. Soit. Parlons de l’initiative qui soulève en elle-même bien des questions – et ce avant même d’aborder les dix questions officielles. On peut ?…
Disons-le tout net, l’initiative de consulter directement les militants – du moins ceux qui ont accès à internet – est tout à fait louable. Elle aurait même mérité qu’on prenne la peine de la situer dans le cadre des structures d’un parti qui existe encore et qui, quoi qu’on en pense par ailleurs, demeure légitime. Du coup, en s’affranchissant (une nouvelle fois) du collectif – façon « je m’adresse directement à la base » (meilleure façon de la caresser dans le sens du poil) -, l’initiative perd aussitôt de sa portée et de sa force. C’est dommage… et bien regrettable.
Il demeure, et je le répète, que tout cela à le mérite d’être posé. Ce qui ne l’est pas et qui aurait dû l’être est : à quoi ça va servir ? – et on se doute en réalité que la vraie question est « à qui ? ». Car est-il possible d’envisager qu’à l’issue de la méthode participative proposée à tous les militants par Madame Royal, il se dégage en réponse des positions largement contraire aux positions de Ségolène ? Et qu’adviendrait-il alors de la rédaction de la motion Royale ?
On peut même élargir : puisque le machin s’adresse à l’ensemble des militants, comment est assurée la transparence du bidule ? Qui gère la modération ? Quels en sont les critères ? Le dépouillement des réponses sera-t-il également participatif ? Qui décidera de ce qui est à retenir et ce qui est à rejeter ? Bref, le bidule, en réalité, il appartient à qui ? Ou encore, et en corolaire : le machin participatif n’inclut-il pas nécessairement la transparence et la mutualisation de l’accès au bidule ?
En vérité, en l’absence d’une telle transparence – et donc de la réponse à ces questions de fonctionnement qui sont tout sauf accessoires -un militant qui ne se sentirait pas franchement politiquement proche de Ségolène Royal ne peut véritablement espérer que ses réponses éventuelles soient prise en compte, puisque ce qui va en ressortir est annoncé « motion Ségo ». Ce qu’il sait en revanche, c’est qu’en participant il sera compté dans ces « X milliers de participants au débat interne suscité par Ségolène Royal » qui seront inévitablement annoncés à l’issu de l’opération pour preuve de l’engouement des militants et sympathisants vis à vis de ladite démarche participative. Et voilà donc notre ami pas si bisounours piégé entre dire, être compté mais sans pouvoir espérer qu’on tienne compte de ses réponses et ne pas répondre et laisser dire la vérité des vrais bisounours.
De facto, il devient évident que les questions ne s’adressent pas véritablement à l’ensemble des militants, comme il est très habilement prétendu. Et il est bien dommage d’avoir ainsi diminué la portée d’une excellente idée en privilégiant la manœuvre au collectif – comme il est d’ailleurs extrêmement regrettable, et plus encore, que les dirigeants actuels du PS n’aient pas pris eux, puisque c’était là évidemment leur rôle, la peine d’être eux-mêmes les initiateurs d’une telle démarche.
Mais puisqu’on m’opposera nécessairement que je serais moi-même dans la manoeuvre en écrivant ce petit billet, et que je ferais bien mieux de répondre aux questions que me pose la dame, je précise que j’ai déjà commencé à participer et je le prouve :
Question 1 : Il faut sortir du fossé entre un discours pseudo révolutionnaire dans l’opposition et un conformisme économique au pouvoir : de quelle façon ?
Pour ma part, je n’entends pas au PS de discours pseudo révolutionnaire… pas plus que le conformisme économique serait la règle de la gauche au pouvoir – c’est là tirer un trait bien rapide sur le RMI ou la CSG, sur les 35h ou la cinquième semaine de congés payés, sur les indéniables succès économiques des années Jospin (même s’il y eut également des timidités coupables).
Donc j’ai déjà un peu de mal à comprendre la question, sinon à la poser ainsi : Les socialistes ont la charge de proposer aux français un projet économique réellement alternatif et ambitieux, tout en s’assurant de sa cohérence avec les réalités du monde, lequel ? Voilà comment je formulerais cette première question. En résumé, finalement :
Quel projet socialiste gagnant pour 2012 ?
Pas sûr qu’on puisse y répondre aussi rapidement, dans le cadre qui nous est proposé. Ou alors je n’ai pas compris la question et en ce cas, je veux bien qu’on m’explique…
Pour l’heure, il semble que le message auquel elle nous invite à souscrire serait que les socialistes ont en effet dans leur ensemble un discours pseudo-révolutionnaire lorsqu’ils sont dans l’opposition (des exemples ?) et tombent dans le conformisme économique aussitôt qu’ils sont au pouvoir (ça peut se discuter, non ?). Le postulat parait bien rapide et affirmer sans nuance, asséner, n’a jamais fait une vérité collective – mais est-ce bien à tous les socialistes qu’on s’adresse ici ?
Question 2 : Le socialisme ne peut pas se contenter d’aménager le capitalisme financier à la marge : comment produire et répartir autrement la richesse ?
Là encore, j’ai du mal à comprendre la question.
Pourquoi parler de richesse puisqu’il s’agit, ici en particulier, de la répartition des profits des grandes entreprises cotées en bourse et donc soumis au capitalisme financier dont on parle dans le cadrage de la question ?
Et que veut dire produire autrement la richesse ? Autrement qu’en levant des capitaux en bourse ? Soit et on serait alors là dans une réelle et ambitieuse rupture… mais je doute que cela soit de cela qu’il s’agit ici. Je devine qu’on parle plutôt de s’affranchir des critères de gestion des entreprises purement financiers, de cette recherche obsessionnelle de rentabilité financière, dictat fait aux entreprises par les grands actionnaires au mépris d’un développement harmonieux et respectueux de la valeur humaine des entreprises et du cout social des licenciements, le dictat notamment d’une politique salariale ultra restrictive.
Aussi posons cette question 2 de la manière suivante : Le socialisme ne peut pas se contenter d’aménager le capitalisme financier à la marge : comment rompre avec des critères de rentabilité purement financiers dictés par les gros actionnaires et répartir plus justement les profits des grandes entreprises ?
Question 3 : Que reprendre des modèles progressistes des autres pays et que rejeter ?
Alors là, le flou devient artistique. Essayez juste de faire un début de réponse à la question… C’est en réalité le type même d’une problématique transversal et qui ne peut être distinguer du tout. Pour élaborer un modèle progressiste français cohérent, il sera nécessaire, sur l’ensemble des sujets, de recourir à une veille internationale afin de s’inspirer de ce qui a été mis en place ailleurs, de ce qui a réussi et de cce qui a échoué.
Aussi, je proposerais bien de supprimer la question 3… voire de reformuler toutes les questions afin d’en tenir compte. Pour les questions 1 et 2 (mais l’opération pourra très probablement s’appliquer aux autres questions) cela donnerait, en tenant compte de mes reformulations déjà proposées par ailleurs :
1- Les socialistes ont la charge de proposer aux français un projet économiques réellement alternatif et ambitieux, tout en s’assurant de sa cohérence avec les réalités du monde, lequel ? Que reprendre des modèles économiques des autres pays et que rejeter ?
2- Le socialisme ne peut pas se contenter d’aménager le capitalisme financier à la marge : comment rompre avec des critères de rentabilité purement financiers dictés par les gros actionnaires et répartir plus justement les profits des grandes entreprises ? Que reprendre des modèles financiers des autres pays et que rejeter ?
Question 6 : Comment rompre avec la redistribution passive et bureaucratique comme principal moyen de s’attaquer aux injustices sociales ?
Ecrire « rompre avec la redistribution passive et bureaucratique » est déjà une manière d’orienter le débat, de ne pas laisser la question ouverte.
C’est là un postulat socialiste, la redistribution serait par essence passive et bureaucratique ? L’impôt – principale source de redistribution – serait passif et bureaucratique ?
Comment peut-on laisser supposer qu’une aide apportée, une allocation distribuée à un foyer modeste serait passive ? Par le fait même qu’elle produit un supplément de pouvoir d’achat, aussitôt dépensé, elle contribue activement à faire tourner la grande machine « économie ».
Est-ce le rôle de la gauche de donner du grain à moudre au sarkozisme triomphant en contribuant à laisser penser que l’abus d’allocations et la fraude est la règle ?
On voit bien ce qui transparait derrière cette question : la solidarité à la sauce donnant-donnant – si la société consent à t’aider, comment l’aideras-tu en retour ? Autre manière de dire qu’il serait possible d’être socialement inutile. Autre manière de laisser penser qu’on pourrait vivre suffisamment bien des allocations pour s’en contenter et ne pas chercher un travail.
Ainsi, il serait utile de reprendre les choses plus en amont – s’il s’agit bien ici de faire contribuer l’ensemble des socialistes – en portant la réflexion sur notre conception collective de la solidarité nationale et de la redistribution.
L’initiative en dix questions de Ségolène Royal soulève, d’abord, de vraies questions de forme, notamment concernant celle de la transparence, auxquelles des réponses concrètes permettraient aux socialistes d’aborder leur congrès sur le terrain du débat de fond et des idées, donc de réaliser un congrès à même de donner enfin une consistance au Parti Socialiste, à son rôle d’opposant et à son ambition de conquête du pouvoir sur la base d’un projet de transformation sociale ambitieux, réaliste et innovant. Faute de cela, ne resterait de cette initiative qu’une manœuvre politicienne de plus.
On parle de : Congrès Utile et Serein : participatif… mais presque