On croyait la droite décomplexée. J’en étais personnellement à regretter ce temps pas si lointain où, en effet, l’homme de droite baissait la tête en présence de l’homme de gauche. On les imaginait ne se lâcher vraiment qu’entre eux, assurés qu’ils étaient alors qu’un gauchiste ne leur tendrait pas le miroir de leurs esprits étriqués, recroquevillés autour d’eux-mêmes et de leurs petits intérêts. Ils ne savaient pas bien pourquoi, mais ils avaient honte de ce penchant politique qui au fond les accablait mais dont ils ne savaient se défaire. Giscard avait beau avoir eu l’audace longtemps inégalée de prétendre que la gauche n’avait pas « le monopole du coeur« , ils ne parvenaient pas à s’en convaincre, ayant intégré sans tout à fait le comprendre qu’il y a un monde du charitable au solidaire.
Et puis il y eut Sarkozy. Il y eut cet homme qui, accablé de toutes les disgrâces, en vint à se rebeller contre la fatalité du complexe et refusa de courber l’échine. Il assumerait tout, à commencer par lui-même, sa soif aigre de revanche contre le monde entier et son appétit de pouvoir. Il serait le justicier, le messie de tous les droites opprimées. Il deviendrait le chef de son camp et le décomplexerait au point de pouvoir un jour affirmer contre toute évidence que lui aussi avait un coeur, « à gauche, comme tout le monde » et le répéter jusqu’à la nausée. Enfin la victoire des puissants et des forces rétrogrades ne serait plus honteuse, contrainte de jouer la partition de l’humilité, parce que leur puissance même était une tare en ce qu’elle visait à s’étendre toujours davantage, parce que la loi du plus fort qui les faisait triompher (et comment en aurait-il été autrement ?) était une loi que les gauchistes disaient indécentes, empreinte de peu d’humanisme et pour tout dire réactionnaire. Leur force dont ils auraient tant voulu pouvoir se glorifier en paix était stigmatisée pour cela justement qu’elle était, une force. C’était un comble. Ce n’était plus supportable. Et Sarkozy décomplexa la droite.
Du moins, c’est ce qu’il parvint à faire croire. Mais quand je me penche un rien attentivement sur la prose d’un Versac ou d’un Embruns, et de quelques autres que d’aucuns appellent leur meute – et en effet ils aboient avec force et n’aiment rien tant qu’aller à la curée -, je comprends qu’il n’est toujours pas si facile de se vivre dans la peau d’un homme de droite. Du moins pas pour tous et en tout cas pas pour ceux-là qui se complaisent encore et toujours dans ce qu’ils pensent être de la modération, dénonçant avec vigueur tous ces gauchistes excessifs et faisant mine de ne pas comprendre que Sarkozy est un symbole et l’anti-sarkozisme sa nécessaire démolition ; qu’il n’y a pas de juste milieu parce qu’on ne fait pas de la politique comme on découpe gentiment de la dentelle ; que l’attitude qui consiste à déclarer qu’on ne fait pas trop de politique est déjà une attitude de droite – surtout lorsque « ne pas faire trop de politique » consiste essentiellement à ne pas être sarkoziste tout en n’étant surtout pas anti-sarkoziste et à ne pas perdre une occasion de le proclamer bien fort.
J’allais parler d’une droite atteinte du syndrome Bayrou, avant de me rendre compte que même Bayrou – mais c’est très sûrement parce qu’il y a un intérêt politique personnel – était à ranger dans le camp des anti-sarkozistes – même si, pour ce qui le concerne, il s’agit en réalité d’être davantage anti-Sarkozy que réellement anti-sarkoziste. Syndrome Bayrou, tout de même, au sens où pour ceux qui en sont atteints, tels donc les Embruns et les Versac, cette caricature d’eux-mêmes qu’est Sarkozy est encore difficile à assumer, est tout de même un peu trop décomplexée, leur fait honte, les gratouille et les irrite dans la région du quant à soi. Alors, chacun à leur manière, ils inventent le centre, cette confusion entre le mou politique et la modération, laquelle ils voudraient assimiler au sens de la mesure et à la raison, sans comprendre qu’être modéré avec ce qui est excessif est déjà une compromission, est déjà en être – et d’ailleurs, s’ils voulaient bien l’admettre, ils en sont, convaincus au fond que Sarkozy est finalement dans le vrai – ha ! s’il n’était pas si excessif, justement… Ils auraient bien entendu préféré la version de Villepin, mais du moins Sarkozy a-t-il le mérite de secouer le cocotier. Bref, quoi qu’ils en aient, ils sont irréductiblement de droite.
Viscéralement, et bien qu’honteusement, ils sont de droite – et plus encore la meute. Ils aiment qu’on les aime, alors ils ne le disent pas trop fort, prennent bien garde que cela ne transparaisse de trop – et la meute en cela aussi est moins subtile -, mais ils sont de droite. Ils suent les bons sentiments et l’humour facile, ils écrivent le petit doigt en l’air, ils déposent leurs étrons avec une élégance contenue, comme de jolies demoiselles, mais ils sont de droite. Ils se gargarisent de leur sens de la mesure et de leur constance vertueuse à dénoncer sans faillir la radicalité d’un anti-sarkozisme qu’ils voudraient primaire et nourri d’une haine crasseuse plus que d’une pensée construite, mais ils n’en sont pas moins tout simplement de droite.
Ils n’ont pas compris de Sarkozy, l’homme qui décomplexa la droite (mais pas toutes les droites, donc), la leçon première et quasi originelle : Être de droite n’est pas sale, ce n’est que la honte qui dégage cette odeur…
Edit : Chaffouin (et hop, un lien de plus pour la blogosphère de droite) écrit ce matin :
« Je me rappelerai toujours ce que m’avait répondu un ami à qui j’avais demandé, au matin du second tour de la présidentielle, pour qui il comptait voter. Il m’avait répondu : « Pour qu’à jamais, Royal demeure un nom de pizza, je voterai Sarkozy ». Et dire que j’ai voté blanc. Je n’aime pas Sarkozy, mais il rassure à côté de cette femme si malhonnête intellectuellement. »
La voilà, et dnas toute son abyssale vacuité, cette droite honteuse et qui ne s’assume pas, qui vote blanc mais qui regrette de ne pas avoir voté à droite, qui ne comprend pas qu’il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer Sarkozy, mais de détester sa politique et ses conséquences sur les vrais gens et sur la vraie vie, cette droite qui préfère donner dans l’humour bien gras que de se risquer à s’engager sur une pensée politique un peu construite.
Source : Le complexe des zinfluents
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