La loi TEPA et son gros paquet fiscal constituent la mesure emblématique du sarkozysme. Il n’est donc guère surprenant que le débat politique se cristallise autour de cette loi.
Aujourd’hui encore, la gauche enfonce le clou en réclamant la suppression du bouclier fiscal, tandis qu’une partie de la droite fait mine de s’interroger sur l’opportunité en ces temps de crise de suspendre l’application dudit bouclier – c’est-à-dire en réalité de le maintenir mais en le refaisant passer à 60% (contre les 50% actuels) durant une année ou deux. Ce qui donne l’occasion au gouvernement de donner de nouveaux gages à son électorat en faisant preuve de fermeté, Nicolas Sarkozy allant jusqu’à proclamer qu’il n’a pas été élu pour augmenter les impôts.
Notons au passage que cette fois, et contrairement à ses habitudes, le petit président a énoncé une vérité : il n’a pas en effet été élu pour augmenter les impôts. Et si l’on peut noter qu’il les a même diminués pour les plus riches d’entre nous, via justement le paquet fiscal, on pourrait également faire la liste des impôts et taxes qui ont pour leur part bel et bien augmenté – en dépit donc de ses engagements de campagne. Je ne le ferai pas, d’autres s’en étant chargé – il en est même qui ont fait la liste des certaines choses pour lesquelles il n’avait pas non plus été élu. En revanche, sur le pouvoir d’achat…
Mais passons. Ce qui en revanche est plus surprenant est la timidité avec laquelle la gauche aborde certain aspect du paquet fiscal. Elle dénonce le volet sur le bouclier fiscal, et elle a raison : cela relève de l’injustice fiscale au profit des plus riches (n’en déplaise à Gad Elmaleh) ; elle pointe du doigt la défiscalisation des heures supplémentaires, et elle a raison : cela contribue par effet d’aubaine à l’augmentation du chômage ; elle souligne l’inefficacité économique de l’ensemble du dispositif pour un coût tout à fait exorbitant, et elle a raison : voilà des milliards consacrés aux foyers les plus riches et aux entreprises quand on se serait attendu qu’on se préoccupe d’abord du pouvoir d’achat des foyers les plus modestes – mais il est vrai que c’est depuis devenu une habitude, une sorte de marque de fabrique du sarkozysme : la distribution par milliards de l’argent public à ceux qui… sont ses amis privés.
En revanche, donc, il règne à gauche un silence assourdissant sur la question des droits de succession, dont la quasi-suppression est pourtant une autre mesure phare de la loi TEPA, très étrange mesure venant d’un président qui n’a eu de cesse de répéter qu’il voulait « récompenser la France qui travaille » – quel est donc le grand mérite de cette France qui hérite, qu’il faille ainsi l’exonérer d’impôt ?
En 2007, la gauche avait dramatiquement perdu la bataille des idées, et donc l’élection présidentielle. Il semble désormais plus que temps de reprendre ce combat : parler d’égalité des chances, parler de solidarité, parler de redistribution des richesses, parler de justice sociale et fiscale… Or il est plutôt aisé de comprendre qu’au coeur de tout cela, il y a l’imposition des successions.
La mesure serait impopulaire ? Bien entendu, puisque la gauche est en situation de faiblesse dans l’opinion, puisque justement elle a perdu la bataille des idées et n’a pas encore repris le combat sur son terrain, celui des solidarités. Il ne s’agit pourtant que d’entreprendre un travail d’explication, faire preuve d’un peu de pédagogie, énoncer quelques vérités qui dissiperont bien des inquiétudes et des incompréhensions.
Rappeler par exemple quelle était la situation antérieure, avant la loi TEPA de 2007 : en 2002, un rapport du Sénat évaluait que « seul un petit quart des successions donne lieu à perception de droits de succession [les plus importantes] et que ce sont près de 90% des transmissions entre époux et 80% en ligne directe, qui ne donnent pas lieu à perception de droits ». Ainsi, la perception de droits de successions ne concernait déjà qu’une part très minoritaire des successions et, en particulier, seulement 20% des successions en ligne directe (de parents à enfants) et 10% de celles entre époux.
Suite à la loi TEPA, ce sont désormais 95% de toutes les successions qui sont exonérées. On voit aisément à quelle catégorie de français Nicolas Sarkozy a destiné son cadeau fiscal.
Aujourd’hui, la succession entre conjoints est totalement exonérée d’impôts. Aujourd’hui, un parent qui décède et laisse un actif net de 300 000 euros à deux enfants, laisse en héritage 150 000 euros non imposables à chacun d’entre eux. Aujourd’hui, un parent qui décède et laisse un actif net de 600 000 euros à trois enfants, laissent 200 000 euros à chacun, imposables à hauteur de 6 956 euros. Dit autrement, chaque enfant touche par naissance 200 000 euros imposés à 3,5% !
A titre de comparaison, un salarié vivant seul et gagnant mensuellement 1 500 euros est imposé à hauteur de 1 430 euros, soit 8% des 18 000 euros qu’il aura gagné dans l’année. En clair, un héritier touche sans travailler 200 000 euros imposé à 3,5%, quand un salarié travaillant toute une année pour à peine plus du SMIC est quant à lui imposé plus de deux fois plus sur une somme plus de dix fois moindre.
Un tel rappel de la réalité devrait permettre de poser le débat sur la nécessité de réformer l’impôt sur le revenu tout en rétablissant un impôt progressif sur les successions. Car il ne s’agit pas nécessairement d’augmenter les impôts en général, mais de les répartir mieux entre tous, dans un esprit de solidarité et de redistribution.
De même qu’il ne s’agit pas de rétablir l’impôt sur toutes les successions, mais bien d’en rétablir le caractère progressif, donc redistributif. Disons pour exemple et par héritier en ligne directe :
– jusqu’à 50 000 euros : 0%
– entre 50 000 et 100 000 euros : 5%
– entre 100 000 et 150 000 euros : 10%
– entre 150 000 et 200 000 euros : 15%
– entre 200 000 et 300 000 euros : 20%
– entre 300 000 et 400 000 euros : 30%
– entre 400 000 et 500 000 euros : 40 %
– entre 500 000 et 1 000 000 euros : 50 %
– au-delà de 1 000 000 euros : 60%
Dans cet exemple, un enfant qui hérite de 50 000 euros net de ses parents ne serait redevable d’aucun impôt, quand celui qui ci-dessus héritait de 200 000 euros serait redevable de 15 000 euros – ce qui est encore relativement peu puisque c’est un taux d’imposition de 7,5%, soit un peu moins encore que celui de notre salarié smicard qui devrait quant à lui travailler plus de dix ans pour toucher ce que l’héritier touche en une seule fois et sans rien faire.
La gauche serait particulièrement mal inspirée de faire une fois de plus l’impasse sur cette question plus que symboliquement centrale de la réforme de l’impôt : impôt sur le revenu et impôt sur les successions, impôt sur les revenus du patrimoine et ISF, mais aussi TVA dont il faut rappeler que, non progressif, il est l’impôt le plus injuste… à l’exception de l’impôt sur les successions qui n’existe même plus.
Où l’on parle de : Rétablir les droits de succession