La laïcité est un principe républicain qui impose la gouvernance des affaires publiques en dehors de toute influence du religieux. Dit autrement, Dieu ne gouverne pas. Dieu ne saurait gouverner ni l’Etat ni même la conscience de ses représentants. Tout prosélytisme dans l’espace public est exclu.
Partant de là, il est possible de dire ce que n’est pas la laïcité, ou ce qui ne la concerne pas, ce qui ne relève pas du principe de laïcité.
Les signes extérieurs d’appartenance religieuse. Un professeur de l’enseignement public – ou tout autre fonctionnaire -, un médecin – ou tout autre agent d’un service public -, ou un élu de la République, est contraint par le principe de laïcité de s’abstenir dans l’exercice de sa fonction d’être guidé par ses croyances religieuses comme de porter de manière ostentatoire une croix – que ce soit sur son dos ou autour de son cou -, un foulard islamique ou des papillotes.
En revanche, tout quidam peut choisir son déguisement, aussi risible soit-il, sans qu’on puisse lui opposer le principe de laïcité, dès lors que ce déguisement ne s’apparente pas à une forme de prosélytisme, une tentative d’imposer du religieux dans l’espace public. On pourra éventuellement, au cas par cas, lui opposer telle ou telle exigence requise par la morale, les convenances ou un certain sens pratique, mais cela ne relève en rien de la laïcité.
La religion n’est pas seule à imposer un uniforme. La mode n’est pas moins prescriptrice en la matière et je ne suis pour ma part pas moins heurté par le déguisement façon Hermès de la bourgeoise du XVIème arrondissement de Paris que par les défilés en burqa dans mon bon quartier de Belleville. Et tous ces adolescents qui arborent la coupe de cheveux façon Justine Biebier ne me semblent pas non plus franchement émancipés. Jeans slim moule couilles ou pantalons tailles basses et raie apparente ne sont pas des marques franches d’un libre-arbitre pronononcé. Talons aiguilles ou semelles compensées non plus.
La burqa est une oppression de la femme ? Sans doute. Mais pas davantage que le talon aiguille. Si j’étais un brin provocateur, je ferais même remarquer que seul le talon-aiguille inflige en sus une souffrance physique.
Le port de la burqa concerne un millier de femmes à travers tout le pays, qu’il ne s’agit pas d’abandonner à leur sort. Mais demande-t-on de légiférer pour venir en aide aux millions de femmes quotidiennement entravées dans leur mobilité par des chausses inconfortables que les canons de la mode leur imposent de porter parce que la cambrure dans les reins permet aux fesses de rebondir et aux poitrines de bomber ?
On ne combat pas une oppression culturelle par la loi. Combien de femmes se trouvent concernées par la chirurgie esthétique ? Certes, bon nombre de celles qui se font refaire les seins le font en conscience, hors toute influence extérieure, peut-être. Mais combien d’entre elles cèdent-elles à l’exigence d’un mari amateur de gros nichons ? Ou au clergé des magazines féminins prescripteurs de collagène ? Probablement des dizaines de milliers et que nous croisons quotidiennement dans les rues, sans frémir autrement que d’une poussée lubrique.
Les prières dans les rues. Commençons par casser le fantasme. Cela concerne seulement dix portions de rues à travers toute la France. Parce que les salles de prières sont là trop exigües pour contenir tous les fidèles. Dix portions de rues où il ne s’agit pas de prosélytisme, qui ne menacent donc pas la laïcité, qui tout au plus peuvent inviter les pouvoirs publics à s’interroger sur une sorte de privatisation épisodique de l’espace public – alors même que les églises sont vides.
Dix portions de rues. Dont deux dans mon bon quartier de Belleville. Je regarde par ma fenêtre et je peux vous garantir que bien plus problématique pour la vie du quartier est le « marché aux voleurs ». Un marché sauvage né tout droit de la misère sociale, où sévissent ostensiblement des organisations mafieuses, où des miséreux sous couvert de vendre des chiffons et autre babioles se font les rabatteurs pour la revente de matériels volés – ordinateurs, téléphones portables et caméras vidéo en tête de gondole. L’espace public est là quotidiennement privatisé, ce qui ne serait pas tant une nuisance si cela ne s’accompagnait de tant de détritus, si surtout je voulais bien ignorer l’exploitation de la misère et l’oppression des miséreux, s’étalant làsur les trottoirs et posant une question à laquelle nos chers amis de l’UMP semblent bien moins empressés de répondre, ou seulement même d’en débattre. Cela n’est pas surprenant, la politique qu’ils mènent et son échec patent est à l’origine du problème.
Quoi d’autre ? Aucun problème dans les cantines scolaires : repas sans porc en option tous les jours, poisson le Vendredi. Dans les hôpitaux, cinq plaintes seulement enregistrées l’an passé pour refus d’auscultation. La laïcité à la française n’est là pas davantage en danger. Alors, de quoi débattre ? Et surtout pourquoi débattre ?
Pour diviser les Français, alimenter les peurs et les fantasmes, détourner l’attention ?
On stigmatise le musulman pour masquer la misère, pour éviter de poser la question sociale et celle d’une juste répartition des richesses. Les vieilles méthodes de la bonne vieille droite !
Une droite que Sarkozy aurait modernisée ? Oui, il l’a décomplexée et la voici donc désormais qui se montre telle qu’en elle-même, dans son bel habit bleu Marine. Une droite bien rance et bien puante, qui n’a que faire en réalité de la laïcité. Elle ne cherche qu’un bouc-émissaire. Le musulman, forcément arabe, forcément immigré, forcément délinquant, est parfait dans ce rôle. Ce n’est pas un débat qu’elle cherche, juste un écran de fumée et des amalgames.
La laïcité, en revanche, poserait la question d’un président de la République qui s’autorise à se signer en public, dans le cadre de sa fonction. Ou qui ne cesse de rabâcher les racines chrétiennes d’une France qu’à l’école de la République on fait remonter jusqu’aux Gaulois, aussi barbares que païens ; une République qui s’est elle-même enracinée en arrachant le pouvoir des mains d’un clergé par nature anti-républicain.
La laïcité permettrait, également, si l’on voulait vraiment remettre ce débat sur la table, de poser la question d’un gouvernement qui dépouille l’école de la République de ses moyens… tout en renforçant subrepticement, mais considérablement, ceux de l’école privée au premier rang desquels figurent les écoles religieuses, et d’abord catholiques, où l’on farcie de bondieuseries nos chères petites têtes blondes.
Mais la laïcité n’est pas le problème. La misère et la précarité, la hausse du chômage et la baisse du pouvoir d’achat, l’injustice sociale, les questions de l’éducation, de la santé, des sécurités, rien de tout cela n’a quelque chose à voir avec la laïcité qui est un des rares principes républicains à se porter encore plutôt pas trop mal.
La France change de visage ? Oui, elle est en mouvement et cela fait des siècles que ça dure. Elle est riche de ça et de rien d’autre. Et si ce que vous voyez dans le miroir vous fait peur, ne cassez pas le miroir, interrogez votre peur.