De retour du festival d’Avignon, je m’étais sagement attelé à narrer mes sentiments à propos de tel ou tel spectacle auquel j’ai assisté. Ces petits exercices critiques ne donnent généralement pas lieu à pléthore de commentaires – bien moins en tout cas que lorsque j’évoque une Marseillaise que l’on siffle ou une burqa que l’on voudrait interdire, par exemple.
Cette fois pourtant, sous ma critique d'(A)pollonia, un certain Marcel Zang a posté en guise de commentaire un texte de son crû que lui a inspiré cette même pièce. Et quel texte !
Outre qu’il est fort long pour un commentaire, c’est-à-dire davantage que le billet lui-même, outre également qu’il m’a été plaisant de constater que nous étions au moins deux à partager mon avis, ce texte est magnifiquement torché, maniant l’ironie et le mordant de manière aussi subtile que réjouissante.
C’était signé « Marcel Zang – Ecrivain ». Alors forcément, émoustillé, j’ai convoqué l’ami Google et nous avons un peu fouillé la Toile. Jusqu’à aboutir sur cette page du Potomitan, « site de promotion des cultures et des langues créoles » – annou voyé kreyòl douvan douvan – auquel l’écrivain Marcel Zang a accordé un long entretien, riche, passionnant à bien des égards, que je laisse aux curieux le soin de découvrir.
Pour ma part, j’ai souhaité, comme on se fait un mémo, me mettre de côté ce court extrait qui m’a particulièrement enchanté :
La lumière a déserté l’Occident, l’Occident est arrivé au bout, l’Occident est cuit, il n’y a plus rien à apprendre de l’Occident, et même l’Occident est obligé d’aller s’accroupir en Afrique pour pouvoir tenir le coup, l’Occident est en train de couler, en train d’amorcer son déclin depuis un moment, l’Occident est aux abois, avec sa technologie et ses milliers de canons. Non, la Maison Blanche c’est fini, l’Europe c’est fini, la France c’est fini. Il n’y a qu’à voir… Qu’est-ce qu’il y a maintenant? Plus de grands écrivains! Depuis le siècle des Lumières, et depuis Rimbaud, Baudelaire, Hugo, Zola, Dumas, Balzac, Proust, Céline, Genet, Sartre, Camus… Et puis, pouf! plus rien, le désert. Qu’est-ce qu’il y a eu depuis? Rien. C’est des signes qui ne trompent pas. Si on cherche bien, on me dira il y a eu la Duras. Mais Duras c’est pas vraiment ça. Aujourd’hui il n’y a rien, aucun grand écrivain au firmament. Donc qu’est-ce qu’on a? Rien.
Bon, j’exagère un peu, mais j’aime bien. Evidemment qu’il y a eu les Tournier, les Gracq et tout ça, et jusqu’à Quignard. Mais disons quand même qu’il n’y a rien. Si, il y a l’autre… mais il pose un peu comme le borgne au royaume des aveugles. Ca faisait un moment que j’en entendais parler; et comme pas mal de gens lui crachait dessus, j’ai décidé d’aller voir de plus près, ça m’intéresse toujours dans ces cas-là. J’ai pas été déçu: Houellebecq c’est de la graine. Il en a l’étoffe. C’est ce qu’on demande à un écrivain, avoir une vision du monde, un univers, outre le fait de posséder une langue. Et en ce sens, Houellebecq c’est l’anti-Duras. Il n’en a pas la langue, ne tricote pas avec, mais il a une chatte et des couilles, une queue et un trou.
C’est à partir de cette androgynie qu’on peut créer en trois dimensions, donner à voir un monde, le nôtre. Sûr que ce que renvoie le miroir n’est pas très reluisant, et je comprends que Houellebecq fasse grincer des dents; mais tout compte fait ça pisse pas très loin, c’est que c’est à la mesure de l’Occident. Et à part Houellebecq, faut pas chercher, tout le reste c’est des trotte-menu, des petits bras et autres phraseurs qui manquent singulièrement de coffre. Aucune véritable vision du monde là-dedans. Pas de puissance de feu, pas de couilles, pas d’épaisseur.
Mais ça te sort un bouquin tous les ans, voire tous les six mois, et la tronche à la télé ou dans le canard tous les jours. Même pas l’excuse d’un Simenon. Vite publié, vite oublié, et au suivant! C’est un fait qu’il se publie trop de livres de nos jours. Chacun y va de son petit couplet, de sa « petite musique ». Les librairies en sont surchargées. De quoi se faire assommer par un bouquin un de ces quatre. Moins il y a de lecteurs, plus il y a de livres, allez comprendre ! « Quelque chose de nouveau et de vrai, c’est la seule excuse d’un livre », disait Voltaire. Ca devrait être gravé au fronton de toutes les librairies.
Du coup, avouez, je n’y peux finalement pas grand-chose si je ne parviens à rien écrire de nouveau et de vrai, c’est à dire de moi. Où trouverais-je en moi à rallumer cette lumière qui m’a déserté en même temps qu’elle s’est éteinte sur l’Occident, dont je suis ? Dont je suis forcément.
Dont je ne suis pas tout à fait, cependant, puisque j’ai en moi la conscience aiguë de l’obscurité. Puisque c’est elle justement qui m’invite à écrire.
Mais putain ce que c’est difficile d’écrire dans le noir !
Quand même, je me demande si c’est tout l’Occident qui se trouve déserté par la lumière, ou seulement la France – voire la vieille Europe. Parce que tout de même, il demeure encore quelques grands écrivains en Amérique du Nord. Toni Morrison ou Russell Banks, par exemple.
Qu’importe, pour ce qui me concerne, j’ai en effet le sentiment d’avoir éclos sur un arbre mort.
…
Ce serait donc cela, qui me manque si cruellement, la lumière ? Un air moins vicié par la déliquescence, où on puisse respirer et s’épanouir ? De l’épaisseur, un coffre où puissent résonner les mots qu’on a en travers de la gorge, qui ne sortent pas – et quand ils sortent parfois, ce qu’on aurait voulu être un cri s’avère n’être encore qu’un autre râle, vulgaire et sans souffle…
Ça ne sert à rien, vouloir comprendre son impuissance. On ne bande pas, voilà tout.
Et Houellebecq ne bande pas non plus, ou bande aussi mou que tous les autres. Mais ce n’est pas une consolation.
On ne bande pas. Voilà tout.
Source : Interlude |