Nov 202015
 

volupte-honneur-pirandello-malisAgata est la maîtresse d’un homme marié, dont elle tombe enceinte. La voilà menacée par le déshonneur, l’indignité. Ce déshonneur, cette indignité, elle s’est déjà abattue sur Baldovino, joueur ruiné et endetté, mis au ban de sa classe, déchu. Afin de protéger l’honneur de la première, le second est convié à racheter le sien en devenant son mari, et par là même le père de l’enfant à venir. Il consent à endosser le rôle et entrer le jeu de l’apparence, mais il prévient : il ne saurait ne pas aller au bout de l’honneur, et il y a des conséquences à être un mari honorable dans de telles circonstances. Il ne pourrait s’agir pour lui que de mettre le masque à moitié.

Que peut-il passer par l’esprit d’un metteur en scène – une metteur en scène, en l’occurence, Marie-José Malis – pour s’imaginer que puisse s’avérer être une bonne idée que de diriger ses comédiens en leur imposant de couper systématiquement chacune de leur réplique tous les trois mots, afin de laisser un silence qui durera aléatoirement de trois à trente secondes ? Et ce indépendamment du texte qu’il s’agit de porter à la scène ?

Certes, chez Pirandello, le texte est essentiel et mérite à l’occasion qu’on puisse s’y arrêter un peu, ralentir ici ou là le rythme, à des moments choisis. Mais étirer à l’infini une pièce de théâtre en imposant aux comédiens, et aux spectateurs, depuis le premier mot jusqu’au dernier, un tel excès de lenteur, et ce non parce qu’il y aurait dans les mots prononcés, leur sens, une justification à les projeter au ralenti, mais uniquement du fait d’un choix artistique non seulement arbitraire – pourquoi pas – mais hors sol, c’est-à-dire hors sens et hors texte, voilà qui me dépasse. Et surtout, j’imaginais que tout le monde avait compris depuis un peu plus de dix ans que ce genre de radicalité dans la mise en scène ne menait en lui-même à rien. J’imaginais qu’on en était sorti, de ces errements artistiques, je me disais que c’était dépassé – et surtout que ce n’était pas tant pis.

De la même manière, je pensais qu’on en avait depuis longtemps fini avec cette manie d’inonder les spectateurs de lumière, histoire de leur bien faire comprendre qu’ils font partie du spectacle, que la scène ne s’arrête pas au quatrième mur. Merci de nous prendre pour des cons, mais on a bien compris, vous pouvez nous lâcher maintenant et éteindre ces foutus projecteurs. Et si l’idée est de mettre le spectateur dans l’inconfort, il y a des manières à la fois plus subtiles et plus pertinentes d’y parvenir. Plus subversives même. Mais là encore, il y faut un autre propos que l’inconfort lui-même. Mieux même, un propos qui soit en cohérence avec le spectacle lui-même, le texte qui est joué et ce qui se passe sur la scène – ce qui n’est tout de même pas totalement accessoire.

Les comédiens font le boulot, et le font même plutôt bien. Juan Antonio Crespiûllo en particulier, dans le rôle de Angelo Baldovino, est tout à fait remarquable, compte tenu de ce qui lui est demandé. C’est eux, leur prestation, qu’on a envie d’applaudir quand le spectacle se termine. Mais voilà, après 3h30 d’un ralenti par moments difficilement soutenable, on ne sait plus quand elle se produit, la fin. Tout cela pouvait aussi bien se terminer cinq minutes avant ou une heure plus tôt. Aussi quand les comédiens se figent et cesse de parler, on s’attend à ce que cette fois encore, après, trois ou trente secondes, ils repartent pour trois mots de plus et encore un silence. Les comédiens se figent, les spectateurs sont dans la lumière, personne n’y comprend plus rien. Finalement on applaudit, plus hébétés que réellement dérangés. 

Allez, je vous le concède, j’ai souri au moins deux fois.

Une comédie, trois heures trente de spectacle, deux sourires. Triste bilan. Et s’il y a une volupté de la lenteur, ce n’est sans doute que dans l’esprit de la metteur en scène. Je le lui souhaite avec cette même bienveillance qu’elle n’a pas eu pour nous autres, spectateurs. Car de volupté moi je n’ai eu aucune.