Henri VI, c’est un peu le Game of Thrones de l’Angleterre du XVème siècle. Une lutte sanglante pour le pouvoir à laquelle il est fait référence sous l’appellation de guerre des Deux-Roses, et qui met aux prises – entre autres protagonistes – la maison de Lancastre (rose rouge) et celle de York (rose blanche).
La pièce est divisée en trois parties – lesquelles, complétées par Richard III, forme la-dite première tétralogie de Shakespeare. Thomas Jolly a cependant fait le choix d’en rester à Henri VI, ce qui lui réclame déjà – et à nous aussi par la même occasion – une douzaine d’heures de représentation (sans les entractes). Ce qui étant déjà trop, lui a imposé de le faire en deux temps, et c’est donc au cycle 1 auquel nous sommes pour l’heure conviés, soit Henri VI première partie et Henri VI premier morceau (les trois premiers actes) de la deuxième partie.
Des choix largement contestables. D’abord parce que Richard III est sans aucun doute la partie la plus intéressante, théâtralement parlant, de cette tétralogie. Ensuite parce que découper la deuxième partie de cet Henri VI pour n’en donner à voir qu’un morceau n’est pas très respectueux ni de la pièce elle-même, ni des spectateurs. Enfin – et peut-être surtout – parce que Henri VI, pièce de jeunesse de Shakespeare, n’est pas nécessairement une pièce, tant du point de vue de la qualité de l’écriture que de celui de son intérêt théâtral, qui justifierait d’emblée qu’on y passe autant de temps.
A tel point que d’aucuns doutent, du moins pour la première partie, que Shakespeare en ait été réellement l’auteur.
« Si dans la première partie de Henry VI nous ne reconnaissons pas le génie de l’auteur de Henry V, y retrouvons-nous son style ? Pas davantage. Où donc est cette forme si colorée, si variée, si puissante que nous admirions naguère ? L’expression est généralement prosaïque et terne, sans relief et sans éclat. Ce vers si libre et si souple, qui dans Henry V se prêtait à toutes les fantaisies de l’inspiration par l’audace de ses rejets et le caprice de sa coupe, a fait place presque partout à un vers timide et monotone qui impose son étroite mesure à la pensée et emprisonne chaque phrase dans ses deux hémistiches. »
François Victor Hugo , fils de son père et traducteur de l’œuvre intégrale de Shakespeare
Mais qu’importe, un metteur en scène fait des choix et se donne raison dès lors qu’il est à la hauteur de la tâche qu’il s’est assignée. Je prétends seulement que celle-ci n’était pas mince, et j’ajoute d’ailleurs que j’en apprécie l’audace, en particulier de la part d’un metteur en scène si jeune.
Et le fait est que dans un premier temps, on est plutôt emballé. Le choix de traiter l’affaire comme une farce, le ton burlesque, se révèle judicieux. Cela fonctionne à merveille, et ce d’autant plus que la mise en scène fourmille de bonnes idées. Tout s’enchaîne sur un rythme plutôt alerte et, si l’on est pour l’heure pas particulièrement passionné par l’intrigue, on passe un agréable moment et l’on se dit que tout cela est bien prometteur.
Mais voilà, il semblera finalement que l’essentiel avait été dit durant la première heure de représentation. Et si la mise en scène continue de loin en loin de nous réserver de très bons moments, rien de bien important se noue, rien ne parvient à nous emporter. Pis, le propos se faisant plus grave, le tragique pointant le bout de son nez, les comédiens montrent progressivement quelques limites. A ce titre, la dernière heure est un véritable supplice : jouer tragique n’est pas crier sa douleur, jouer tragique n’est pas tout à la fois geindre et hurler, cela demande un rien plus de subtilité.
Au final, force est de constater que l’audace ne suffit pas et que ce n’est peut-être pas tout à fait fortuitement que Henri VI est réputée être une pièce impossible. Le génie shakespearien n’y est peut-être pas tout à fait suffisamment présent pour justifier à lui seul la douzaine d’heures de représentation que la pièce réclame. Or si Thomas Jolly est incontestablement un metteur en scène très prometteur, il n’a en définitive pas trouvé l’angle d’attaque qui aurait permis de pallier le manque de puissance dramaturgique de cette fresque historique.
Reste que scénographie et mise en scène sont de très bonne facture, et réservent même plusieurs très bons moments – même si à mon goût la musique est un peu trop omniprésente et les effets de lumière finissent par être un chouïa répétitifs. Accordons une mention spéciale à l’introduction de ce rhapsode – interprétée avec malice par Manon Thorel – qui s’en vient durant les changements de décor conter fleurette aux spectateurs, improvisant des transitions sur un ton tout à fait réjouissant.
Je pense néanmoins que je ferai l’impasse sur le cycle 2.