Fév 102007
 

 

foretsHedda, bourgeoise et fille de feu le général Gabler, revient de voyage de noce au cours duquel elle a découvert l’ennui de vivre avec un mari que l’on aime pas. Aussi ne l’avait-elle en réalité choisi que pour la part de mondanité que l’épouser était censé lui apporter, tout laissant à penser qu’un avenir d’éminent professeur était promis à Jørgen Tesman. Ce premier renoncement, à l’amour, s’avérera alors devenir renoncement à la vie, de l’ennui de vivre sans amour à l’ennui de vivre tout court.

Hedda a des rêves de grandeur et de puissance. Egocentrique et amer, elle aspire à contrôler les autres, en faire les jouets de sa frivolité. Son plaisir est de détruire, étouffer chez les autres ce qui est déjà mort en elle. Mais le sol se dérobe sous elle, les autres ne sont pas à la hauteur de ses aspirations et ce mariage bourgeois qu’elle a fait dans lequel peu à peu elle s’enferme, prise au piège comme un insecte dans une toile poussiéreuse. Car Hedda est une tragédienne qu’on aurait enfermée dans la terne comédie d’une existence bourgeoise, sertie par les convenances et où les grands sentiments et les grandes actions ne peuvent s’épanouir. Il lui faudra donc se détruire elle-même pour pouvoir tout de même continuer d’exister un peu, couronnée de pampres.

Hedda Gabler est un des joyaux du théâtre, un chef d’oeuvre qu’il est facile de massacrer. Roman Polanski avec Emmanuelle Seigner, puis dans une moindre mesure Eric Lacascade avec Isabelle Huppert, s’y sont tour à tour cassés les dents de manière magistrale. Mais Thomas Ostermeier, pur produit du théâtre trash allemand, est sans doute à la fois plus subtil et capable de plus d’excès. Et c’est ce qu’il faut, subtilité et excès, pour donner à voir sans la caricaturer la grandeur dérisoire d’Hedda, et cette pulsion morbide qui la possède et la désespère.

Six comédiens précis et juste évoluent dans un décor limpide planté sur un plateau tournant, une large baie vitrée et aux portes coulissantes séparant l’intérieur – cette prison où s’ennuie Hedda – de l’extérieur – où il lui est impossible de s’évader, parce qu’elle n’en a pas la force. Un immense miroir couronne le tout afin que rien de ce qui est à voir ne puisse échapper au regard. On voit tout, comme des dieux omniscients et qui se régalent à observer leurs créatures s’ébattre et se débattre, vivre et puis mourir. Un spectacle de toute beauté.

 

« Hedda Gabler » : Ibsen / Ostermeier