Encore Hamlet. Je ne m’en plains pas. On ne voit jamais la même pièce de théâtre. Alors, quand il s’agit d’une des oeuvres les plus magistrales du plus grand dramaturge de l’univers – comment ça j’exagère ? pas du tout ! -, non seulement je ne m’en plains pas, mais je m’en réjouis. On n’en a jamais terminé avec Hamlet, ni avec sa complexité – celle de la pièce comme celle du personnage.
Avec Macbeth non plus. Vous me pardonnerez cette digression, elle est pour moi l’occasion d’évoquer ce Macbeth auquel j’ai assisté le mois dernier. C’était au Théâtre 71, à Malakoff, dans une mise en scène d’Anne-Laure Liégeois. J’en suis ressorti avec la conviction que je n’avais pas compris cette pièce, que la complexité de la pièce, et de Macbeth lui-même, m’avaient échappé. Ou m’échappait encore. Je n’avais pas été enthousiasmé par la représentation, mais je ne l’avais pas détesté non plus, j’avais même plutôt passé un bon moment. Seulement, je m’étais aperçu que je ne savais pas quoi en dire, ni de ce Macbeth, qui me demeurait mystérieux, ni du spectacle qui m’en était donné. Aussi m’étais-je abstenu de faire l’effort d’en dire quoi que ce soit.
Pourtant, je me suis souvenu ensuite que j’avais été conquis par le Macbeth de Declan Donnellan, que j’avais eu alors le sentiment d’en comprendre plus. C’était dire l’endroit par lequel faillit la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois. Beaucoup de qualités, indéniablement, mais l’incapacité à éclairer l’œuvre, d’une lumière suffisamment limpide, à nous en faire entendre la substance – ou une substance, un angle sous lequel regarder et comprendre la tragédie, sans doute la plus noire de toutes les tragédies shakespeariennes.
La tragédie d’Hamlet semble moins complexe. Sans doute parce qu’elle nait d’un élément extérieur au personnage : son oncle est devenu l’amant de sa mère, ensemble ils ont assassiné leur frère et époux, respectivement, et donc le père d’Hamlet ; puis, dans le mois qui a suivi son enterrement, ils se sont mariés et Claudius, l’oncle assassin, est devenu roi, en lieu et place du père assassiné. A l’inverse, la tragédie de Macbeth nait de lui-même, nait en lui-même : d’abord de son ambition – il veut devenir roi à la place du roi, et l’assassine -, puis de son sentiment de culpabilité, qui vire bientôt à la folie sanguinaire.
La folie. Ce n’est pas la moindre des choses qu’on en commun Hamlet et Macbeth. La folie est au cœur des deux pièces, et dans les deux cas il s’agit sans doute de l’interpréter métaphoriquement – et c’est en cela que l’une et l’autre sont des tragédies complexes. Jusqu’à quel point leurs folies sont réelles ? A partir de quel point sont-elles un prétexte à leurs agissement ? Ou un instruments des actes qu’ils s’apprêtent à commettre ? Leur folie est-elle la cause ou bien l’effet de ce qui est leur tragédie ? De quelle nature est-elle, cette folie qui s’empare de l’un et de l’autre ? Et d’ailleurs, sont-ils réellement fous ou bien seulement excessifs ? Les passions humaines sont-elles des folies ? Ne sont-elles que cela ? C’est probablement à ces questions qu’il s’agit de répondre quand on va à la rencontre ou bien d’Hamlet ou bien de Macbeth.
C’est précisément ce qu’avait omis de faire Dan Jemmett dans ce désastreux Hamlet qu’on a vu cette année à la Comédie Française. Encore une digression, juste l’occasion de préciser, d’ajouter à ce que j’écrivais alors, que je me suis souvenu depuis que j’avais assisté à un autre ersatz de Hamlet, mis en scène par ce même Dan Jemmett. C’était il y a dix ans, j’ai oublié ce que j’en avais pensé, mais le titre était prémonitoire : ça s’appelait Presque Hamlet. En effet, presque. Mais toujours pas.
Venons-en, enfin, à David Bobée et sa troupe de comédien russes, venus du Studio 7 de Moscou, et avec lequel le jeune metteur en scène français (il a 35 ans) adapte la mise en scène qu’il avait réalisée en 2010
D’abord le décor. Sombre et froid. Sol noir et carrelage noir aux murs. Si n’était la couleur, on se figurerait dans une morgue ou un funérarium. Une morgue plutôt, puisque sur un mur s’aligne huit tiroirs frigorifiques. Et qui vont se remplir de cadavres à mesure que la tragédie va s’accomplir. Après que Hamlet a accidentellement tué Polonius, la scène se retrouve inondée d’une fine pellicule d’eau et devient un miroir reflétant et déformant, amplifiant, éclaboussant aussi, le balai tragique qui s’en va désormais culminer. L’occasion de tableaux de toute beauté, il faut le reconnaître.
Ensuite ces comédiens russes, leur jeu à la fois physique et subtil. Parmi eux, cet Hamlet si jeune, qui à l’âge du rôle – coucou Denis Podalydès – est impressionnant de maîtrise. De manière générale, tous sont justes. Mais pas nécessairement ensemble. Cela manque d’unité et c’est le reproche qu’on peut faire à cette mise en scène : elle manque d’unité, de consistance d’ensemble. Une scène après l’autre, chacune fonctionne. Certaines même sont très réussies. Et les personnages sont là, joliment dessinés, interprétés avec brio. Mais Hamlet n’y est pas. Pas tout à fait – et encore moins pour ceux qui ne connaissent pas par cœur la pièce.
Trois heures de spectacle, sans entracte. On ne s’ennuie pas, on passe même de très bons moments. Au final, pourtant, on se dit que tout cela a manqué de consistance, on a le sentiment qu’il n’y avait pas d’autre intention pour le metteur en scène que d’enfiler ses propres perles – et il est indéniable qu’Hamlet fournit un fil des plus propices, l’on sait qu’il ne saurait tout à fait rompre. Mais voilà, une fois les perles enfilées, Hamlet n’y est plus. Or j’ai la faiblesse de croire que mettre en scène c’est d’avantage montrer, mettre en valeur, donner une lecture personnelle, plutôt qu’escamoter, ou même seulement estomper.
C’est dommage, parce qu’il y a tout de même beaucoup de bon dans ce spectacle.
Vous savez quoi, je m’en vais rester sur cette note positive, et terminer ce papier par une ultime digression, façon catalogue. J’avais déjà vu un Hamlet donné en russe par des comédiens russes. Le metteur en scène également était russe, il s’agissait de Nikolaï Kolyada et cela demeure sans aucun doute mon meilleur Hamlet. Même si le Hamlet [un songe] de Demis Lavaudant était également mémorable. Et même si je conserve aussi dans un petit coin de ma mémoire la géniale première scène du Hamlet de Thomas Ostermeier – parmi les plus grands moments de théâtre auxquels j’ai assisté, cette première scène, ou plutôt ce premier tableau qui figurait avant la première scène, avant même que la tragédie ne commence, quand tout avait déjà eu lieu…
Et puis, il y avait eu cet Au moins j’aurai laissé un beau cadavre – quel titre ! – où Vincent Macaigne était dans un premier temps parvenu à sublimer tout à la fois Hamlet et Shakespeare dans un exercice de théâtre total et magistral, avant un malheureux final en forme de sortie de route, où Hamlet là non plus n’y était plus, ayant peu à peu cédé la place à une inutile resucée d’un Requiem 3 que j’avais en son temps beaucoup aimé.
On ne se lasse jamais de Hamlet.