Bientôt sept ans que j’ai tourné la page. Tourné le dos à tout. Non, pas tout à fait tout. Juste un bon boulot et qui payait bien. Une certaine idée qu’on peut se faire de la réussite, cette illusion que je n’avais pas d’une utilité sociale. Tourner le dos à cela, c’était la partie la plus facile, une évidence en même temps qu’une nécessité. Mais d’abord une évidence.
Je n’ai renoncé à rien. Il n’y avait pas pour moi d’autre chemin. Créer et être. Etre enfin. Vivre. Ne plus passer le temps à faire semblant, semblant de croire qu’on pourra tromper la mort – c’est elle qui nous baise à la fin, de toutes les façons. Ne plus laisser passer le temps, donc, et vivre. Faire face. Ecrire…
Besoin d’écrire ou envie seulement ? Qu’importe, besoin d’exister vraiment. Ecrire était le seul moyen. Je n’ai renoncé à rien et je me suis mis à écrire.
Sept ans, et j’ai écrit quoi ? Quelques centaines pages. De la poudre aux yeux, un écran de fumée. J’ai écrit et je n’ai rien dit. Des mots, et puis des mots, et puis des mots. Rien. Du vent. Je suis absent, pas là, caché bien à l’abri de toutes les phrases creuses que je fais pour m’y dissimuler, ne surtout pas paraître. Et de ce point de vue, c’est une réussite : je ne m’y reconnais pas. Des creux et du vide autour. Je n’y suis pas, ne suis pas plus avancé que quand je perdais honnêtement ma vie. Je n’ai pas fait face et j’ai continué de biaiser. Encore et encore. Et encore.
J’avais dit : » je veux raconter des histoires » et c’était un leurre. Ce que je veux avant tout, c’est parler de moi, c’est être et exister à l’intérieur de mes mots. Etre révélé par les mots qui me viennent et être révélé d’abord à moi-même.
Pouvoir mettre mes tripes sur la table et y mettre le feu, être capable de cela. Me lâcher et décoller un peu. Ouvrir les yeux. Plonger à pleines mains dans mes entrailles noires, touiller et toucher un peu ce qui me ronge et me rend aveugle à moi-même. Faire face et ouvrir les yeux. Ecrire pour tenter d’y voir juste un peu plus clair et comprendre pourquoi on continue malgré tout, cette errance aveugle parmi ce rien qui est partout, en nous et autour, ce rien que l’on respire et qui nous étouffe.
La vie, cet abîme autour de nous et qui nous aspire…
La vérité est que j’ai le vertige et que je refuse de voir. Je ne cherche en réalité qu’à ignorer que je tombe. Trop dangereux, se lâcher. Mourir cramponné à l’illusion qu’on ne tombe pas. Faire des mots qui n’en sont pas. Des mots, des mots, rien que des mots encore et toujours. Pourtant, écrire…
Ecrire afin que chaque phrase soit une part de moi que je déshabille. Ecrire jusqu’à être nu. Nu et puis libre. On verrait bien alors si je pèse plus lourd que du vent. Ce simple amas de poussières et qui y retourne.
Il faudrait n’écrire d’abord que pour soi. Ne pas chercher à plaire. Effacer des mots ce sourire qui ne cherche qu’à séduire, cet éternel sourire de l’être qui a faim d’être aimé et n’est jamais rassasié de ça.
Seulement cela, écrire.