Personne n’aime la guerre. Partant de là, il y a deux manières de réagir face à une oppression ou une menace, quelle qu’elle soit. L’oppression de celui qui envisage d’envahir son voisin. La menace de celui qui cherche à se doter de l’arme nucléaire. Celui qui opprime et/ou massacre son propre peuple. Celui qui commet un génocide. Les tyrans et les fous. Deux manières de réagir.
Soit l’on relève le menton, l’on se drape dans sa dignité pacifiste, l’on agite très fort son index devant le nez du tyran – enfin, devant son nez : à quelques milliers de kilomètres de distance, tout de même – et l’on clame que la guerre c’est mal parce que ça tue des gens. Et même que ça tue des gens innocents. Les dommages collatéraux, comme on dit. Et puis l’on rappellera utilement que la guerre est toujours impérialiste, toujours au service d’intérêts commerciaux et financiers, ceux des marchands d’armes et des acheteurs de pétrole, par exemple. La guerre c’est sale et l’on préfèrera toujours garder les mains propres.
Soit l’on ne fait pas semblant de ne pas savoir que la non guerre n’est pas nécessairement très propre non plus, que les dommages collatéraux du non interventionnisme peuvent être également assez terrifiants, qu’il est assez sale de laisser mourir des petits enfants innocents – mais pas que ! – à des milliers de kilomètres de chez soi – donc pas ses propres enfants – de les laisser mourir, en versant quelques larmes bien bruyantes, afin d’être bien certains d’avoir garder les mains bien propres.
En ce cas, on n’accepte pas. On dit aux fous et aux tyrans qu’on ne les laissera pas faire et qu’au besoin on ira leur botter le cul, qu’on ira leur faire la guerre. On n’accepte pas parce que ce qu’ils font est inacceptable. On se comporte comme si le petit enfant basané qui meurt là-bas, à des milliers de kilomètres de chez moi, comme si cet enfant était le mien et que c’était inacceptable. Inacceptable aussi que des fous en tuent un autre parce que je n’aurais rien fait quand ils ont assassiné le premier, rien d’autre que de brandir mon index désarmé sous leur nez – mais à des milliers de kilomètres de distance, tout de même – et que ça les a bien fait marrer de nous voir avec nos petits index tendus.
Non, on leur dit non seulement qu’ils seront jugés pour les actes qu’ils ont commis, mais également que s’ils continuent leurs exactions inacceptables, qu’on ira leur planter un missile dans le cul. Parce que c’est cela même la solidarité, protéger par tous les moyens les opprimés contre leurs oppresseurs. Par tous les moyens, y compris par les armes. Parce que devant la souffrance, il y a urgence. Parce que devant l’urgence, les mots et les bons sentiments ne suffisent pas toujours. Rarement.
Mais personne n’aime la guerre. Alors bien entendu, on espère. On espère que la menace d’un missile dans le cul sera suffisante pour protéger les victimes de leurs tyrans, pour protéger les opprimés de leurs oppresseurs. Mais cela ne peut se produire que si la menace est crédible, uniquement si l’on est prêt à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la guerre.
Et c’est difficile. Non seulement parce qu’on n’aime pas la guerre. Mais également parce qu’on sait que les partisans de l’index tendu diront que si vous faites la guerre ce n’est pas pour des motifs humanitaires, que c’est pour soigner votre popularité, que c’est pour servir des intérêts impérialistes et que d’ailleurs vous voulez la faire ici la guerre, alors que vous ne la faites pas là-bas. Et puis de toutes les façons, clameront-ils, leurs petits index tendus, la guerre c’est sale et ça produit des dommages collatéraux.
Ils oublient complaisamment les dommages collatéraux de l’impuissance et de l’inaction. D’abord un peuple qui continue de souffrir et de mourir. Ensuite le peuple voisin qui voit se lever son propre tyran, assuré qu’il est désormais de son impunité, puisqu’il s’en tirerait donc avec quelques réprimandes et un index qui s’agite sous son nez.
Mais il est vrai qu’il est plus simple de regarder dix enfants mourir sous la main d’un tyran plutôt que d’avoir à risquer la vie d’un enfant pour empêcher le tyran de commettre ses crimes. Plus simple d’avoir le cœur indigné que les mains sales.
Alors oui, c’est difficile de s’avancer sur le chemin de la guerre, se diriger vers cet endroit où l’on se retrouverait nécessairement à se salir les mains. Et l’on ne peut qu’espérer qu’il ne sera pas utile d’aller jusqu’au bout, que la menace sera suffisamment forte et crédible pour que le tyran, pas si fou que ça finalement, finisse par céder – avant que le moindre missile ne soit tiré.
Il semble que c’est bien ce qui pourrait se produire en Syrie. Il semble que Bachar el-Assad puisse avoir eu suffisamment chaud aux fesses qu’une solution diplomatique puisse être finalement trouvée. Ce serait tant mieux. E il ne ferait aucun doute qu’il s’agirait alors d’applaudir les choix difficiles et courageux faits conjointement par Barack Obama et François Hollande, lesquels ont refusé d’avoir à se contenter de condamner, impuissants, index agité dans les airs, les attaques à l’arme chimique de Bachar el-Assad contre son peuple, permettant ainsi, via la menace crédible de représailles militaires punitives, de parvenir à un début de solution, et préservant a minima le peuple syrien de nouvelles attaques à l’arme chimique.
De simples réprimandes aussi outrées qu’impuissantes n’y aurait pas suffit, n’aurait eu pour résultat que de ridiculiser la communauté internationale et assurer Bachar el-Assad de son impunité. Le pacifisme n’est pas un simplisme, n’est pas ce paravent derrière lequel on s’abrite pour éviter d’avoir à s’interposer.
Parfois, quand dans le fond de la rame de métro une jeune femme est au prise avec trois gaillards qui lui glissent de force la main dans la culotte, il ne suffit pas que de lever son index en se souvenant très fort qu’on est pacifiste…