Mediapart s’est illustré ce week-end comme l’exemple idéal du journalisme racoleur et hypocrite, et à cette occasion a allègrement franchi la ligne jaune de l’indécence.
Revenons d’abord sur la chronologie des évènements.
En premier lieu, il n’y a eu aucune surprise dans le monde médiatico-politique. Depuis des mois, et plus encore ces dernières semaines, tout ce petit monde savait que François Hollande avait une liaison avec Julie Gayet. Et tout ce petit monde bouillait d’impatience que cela finisse sur la place publique. On savait que les paparazzis étaient lâchés, on n’attendait plus que les photos, et la seule incertitude était de savoir quel magazine tirerait le premier.
Un magazine people, bien entendu. Car les journalistes politiques ont une bien trop haute opinion d’eux-mêmes pour s’aventurer en de telles eaux. Surtout ce n’est pas leur boulot et ils le savent. Il n’empêche, ça les démangeait terriblement. Ils espéraient ardemment que quelqu’un veuille bien se charger de faire le sale boulot, ce boulot tellement indigne d’eux – mais tellement marrant aussi.
Malheureusement, François Hollande et Julie Gayet se montrèrent bien plus prudents qu’on ne l’avait imaginé. Las d’attendre des photos volées du couple illégitime, et impatient de toucher le pactole, Closer décida de tirer le premier, se contentant d’y aller avec quelques photos anodines – en gros, un type sur un scooter qu’on identifierait comme le président grâce à ses pompes… Il ne suffisait que de bien légender le tout. Cela suffisait, puisque tous savaient.
Closer avait fait le boulot. C’était bien normal, c’est leur boulot.
Le boulot des journalistes, des journalistes sérieux et autoproclamés comme tels, était alors de hiérarchiser cette information qui tombait, de lui accorder la place qu’elle mérite. C’est-à-dire d’en faire ce que nous en faisons tous, des gorges chaudes, tout en sachant que l’important est ailleurs. Un entrefilet dans un journal papier, une brève en fin de journal télévisé, François Hollande a une aventure avec Julie Gayet, cela suffisait amplement. Les humoristes pouvaient nous faire rire avec cette histoire, il n’y avait aucun problème. Qu’en dire de plus, après tout ?
Mais voilà, les journalistes sérieux, eux aussi voulaient pourvoir gloser. Comment faire alors, pour en parler tout en donnant le sentiment de ne pas être futile ? C’était plutôt simple, en feignant de se poser les supposées bonnes questions : Devons-nous en parler ? Un président a-t-il une vie privée ? Cette révélation aura-t-elle un impact politique ? Cela va-t-il polluer l’importante conférence de presse du président ? Etc… On se fout d’apporter des réponses, l’important est de pouvoir parler de « l’affaire », en parler mais l’air de rien. A longueur de temps. Première hypocrisie.
Et puis Valérie Trierweiler fut hospitalisée. On pouvait décider de la laisser tranquille, ç’aurait été élégant. Non, la tentation était trop forte, et l’opportunité trop belle. On répéta en boucle que suite aux révélations de Closer, la première dame – autoproclamée elle aussi – avait eu un gros coup de blues. Deuxième hypocrisie. Tous savent qu’elle savait déjà, que rien ne lui fut révélé par Closer. Tous omettent cependant de vous dire – et pourtant tous le savent – ce qui en réalité a conduit Mme Trierweiler à se trouver ainsi à bout de nerfs.
Mais cela ne suffisait pas à Mediapart. Tout ça, c’est pas la came qu’ils vendent. Eux, c’est du sérieux, de l’investigation, du bon gros scandale bien politique. Tout de même, l’affaire était vendeuse, il fallait bien qu’ils parviennent à en parler. D’une manière ou d’une autre. Donc on enquêta, sérieusement, profondément, avec professionnalisme. Sur la boîte aux lettres de l’appartement des amours présidentiels, il y avait un nom : Ferracci. Bingo !
Ferracci, ça sonne comment selon vous ? Ça serait pas un peu Corse ça comme nom, madame ? Ne suffisait plus que de racoler bien fort avec un bon titre. Roulement de tambour :
L’appartement qui abrite les relations secrètes du président lié au grand banditisme.
Ta-ta taaan…
Ainsi donc, tenez-vous bien, l’amie de Julie Gayet, qui lui avait prêté son appartement, pour abriter donc sa relation secrète avec François Hollande, est divorcée depuis six ans d’un homme se nommant Ferracci qui a été condamné avec sursis dans une affaire de blanchiment impliquant un cercle de jeux parisien et un gang Corse. Circonstance aggravante, il a aussi fait l’acteur dans la série « Mafiosa » – pas de chance.
Et Edwy Plenel de s’empresser de clamer partout que l’appartement est au nom de Ferracci, ce qui dans son esprit de petit procureur de la morale en politique signifie qu’on pourrait – presque raisonnablement – soupçonner que l’appartement en question aurait été financé par l’argent du grand banditisme. D’où le titre un brin racoleur mais il faut ce qu’il faut.
Sauf qu’en fait l’appartement n’est pas au nom de Ferracci. C’est juste la boîte aux lettres. Ha merde !
Bon, alors : la boîte aux lettres de l’appartement qui abrite les relations secrètes du président est lié au grand banditisme. Ça marche aussi, non ?
Sauf que même pas. Même pas la boîte aux lettres. Le nom de Ferracci figure dessus simplement parce que la dame, qui est donc divorcée depuis six ans, a eu des enfants avec cet homme, des enfants qui sont donc coupables de porter le nom de leur père, selon Mediapart et Edwy Plenel.
Mais à Mediapart ils sont plus sérieux que ça, vous pensez bien. Ce n’est pas juste la boîte aux lettres. Sont plus sérieux que ça. Ils avaient poussé l’investigation jusqu’à consulter l’annuaire – pour recouper les informations, comme on dit. Et figurez-vous que dans les pages blanches, à l’adresse de l’appartement dont il est question, on trouve aussi le nom de Ferracci. Ha ! Ça vous en bouche un coin, non ? C’est pas du grand reportage ça ?! Qu’est-ce qu’on vous disait ? Il est pas lié au grand banditisme notre président volage !
Encore raté. C’est seulement que l’abonnement à Free, il était au nom du monsieur, un abonnement souscrit il y a huit ans et dans un autre appartement, et que les enfants ont récupéré dans leur nouvel appartement.
Ouais, bon. Il n’empêche : La freebox qui est dans la boite aux lettres des enfants de l’amie qui loue l’appartement qui abrite les relations secrètes du président est, via le père de ses enfants dont elle a divorcé depuis six ans, lié au grand banditisme .
Ça fait un peu long comme titre, du coup, non ?
Vous imaginez que peut-être, devant l’erreur manifeste et la légèreté des investigations menées par les journalistes de Mediapart, Edwy Plenel qui est un journaliste sérieux et un homme de gauche au-dessus de tout soupçon, qui ne rate d’ailleurs jamais une occasion de donner des leçons de journalisme – et même d’éthique, ou de morale ! – à la planète entière, allait se fendre d’un petit correctif, genre désolé, on s’est un peu emballé là, faut dire, on était émoustillé, et un peu frustré aussi de ne pouvoir croustiller le croustillant avec tout le monde. Oui, désolé, une enquête journalistique sérieuse ça devrait être un peu plus que de jeter un oeil sur une boite aux lettres et dans les pages blanches pour tirer des conclusions hâtives. Mea culpa, promis, on le refera plus.
Pensez-vous ! C’est tout le contraire, Edwy Plenel, envers et contre tous, maintient tout. L’appartement est lié au grand banditisme, fut-ce via la location d’une Freebox. Na !
Pour le coup, je suis pas sûr qu’il a tout compris, Edwy.