Juin 032014
 

gauche taureau aveugle rougeA l’origine, seul le Front National jouait de la petite musique de l’UMPS. C’était déjà très con, mais venu de l’extrême-droite, c’était attendu. Désormais, la chansonnette est poussée par les chœurs de la gauche radicale, si fière de sa radicalité qu’elle semble n’avoir jamais fini de la célébrer, de se délecter d’elle-même et de sa propre pureté politique. Une gauche vaniteuse. Une radicalité vaine.

Et les voici donc de s’époumoner, à l’unisson donc avec le Front National, sur le refrain de l’UMPS. Le grand amalgame. Plus aucune distinction. C’est triste, et stupide, cette impossibilité à hiérarchiser sa colère et son ressentiment. Triste et suicidaire.

C’est que si nous en sommes là, aujourd’hui – un FN à 25%, une gauche à 32% (et encore, j’ai la faiblesse de compter à gauche les 14% du PS…) – c’est aussi parce que le grand amalgame est le grand jeu du moment, le grand jeu médiatico-politique, abêtissant, avilissant – et qui nous avilit tous. Quand tout se vaut. Quand le seul argument de toute critique est dans un signe égal. UMP = PS, Hollande = Sarkozy, Valls = Guéant… Comme si une chose ne pouvait plus être critiquée, lourdement même, pour ce qu’elle est, mais seulement par équivalence. Une formidable défaite de la pensée. 

La colère est légitime, évidemment. Elle n’en rend pas moins aveugle. On voit rouge, on fonce dans le tas, et à la fin on se fait massacrer. Parce qu’il n’attend que ça, le grand torero du capitalisme mondialisé, qu’on ne sache plus faire de distinction, qu’on n’oublie de penser, donc de nuancer, qu’on fonce dans le tas, aveuglé par le sang, excité par le rouge de la muleta, tête baissée, échine courbée, prêt pour l’estocade et la mise à mort – sous les vivas de la foule, célébrant le fier taureau, sa radicalité. Un peu con quand même. Le taureau.

Et pourtant, il devrait être possible de nuancer. Voir par exemple que le pacte de responsabilité et son orientation politique de l’offre ne résume pas toute la politique des socialistes au pouvoir depuis deux ans – non plus qu’une hausse de la TVA de 0,4 point. Voir donc aussi ce qui fait sans ambiguité la différence :

– imposition sur les revenus du capital relevée ; 
– création d’une tranche d’impôt supplémentaire à 45% ;
– limitation du bénéfice du quotient familial pour les plus aisés ;
– baisse des impôts de 3 000 000 de personnes des 1ères tranches ;
– remise en cause des allègements des droits de succession et de donation pour les plus gros patrimoine ;
– mise en place de trois taux d’imposition différents pour les sociétés (35% les grandes, 30% PME, 15% TPE) ;
– instauration d’une contribution additionnelle de 3% sur les dividendes distribuées aux actionnaires ;
– création de 60 000 postes dans l’éducation nationale, en priorité dans les quartiers qui en ont le plus besoin ; 
– financement de 275 000 places d’accueil de la petite enfance ; 
– augmentation de 25% de l’allocation de rentrée scolaire et l’allocation de soutien familial pour les familles monoparentales ;
– réforme des rythmes scolaires ;

– généralisation du tiers payant ;
– remboursement à 100% de la pilule pour les mineures ; 
– plafonnement des frais bancaires, notamment pour les plus fragiles ; 
– extension des tarifs sociaux du gaz et de l’électricité à 8 millions de personnes ;
– prise en compte des congés maternité dans le calcul des retraites pour les femmes ;
– prise en compte de la pénibilité dans le calcul des retraites pour les métiers les plus difficiles ;
etc… (sans exhaustivité et dans le désordre)

Et je ne parle pas de l’extension du mariage à tous les couples. On me répondrait que les questions de société, c’est autre chose. Comme si les questions de société n’étaient pas elles aussi essentielles. Comme s’il ne s’agissait pas rien moins que du vivre ensemble. Comme s’il était nécessaire de tout hiérarchiser, plutôt que différencier.

Et aujourd’hui encore, la liste de ce qui fait tout de même un peu la différence s’apprête à s’allonger :

– fin des peines plancher
– individualisation des peines
– alternatives à la prison

Aucune différence ? C’est de la paresse intellectuelle que de ne pas savoir exposer une critique forte sans recourir à l’amalgame, à la théorie du « tout se vaut ».

Il est vrai que c’est plus facile de faire mine que ça ne changera rien que l’UMP reprenne le pouvoir dans trois ans. Mais ça changera, pour les gens, pour une partie non négligeable de ce peuple que cette gauche radicale préfère négliger, qu’elle méprise beaucoup finalement, en l’abandonnant à la droite, la vraie, la dure. 

Parce que – inutile de faire semblant – nous sommes tous bien conscient que l’alternative politique au PS, c’est l’UMP. Ça ne fait pas plaisir, ça fait éventuellement un peu mal aux seins même, mais c’est la réalité politique de ce pays – et on ne peut pas dire non plus que le FdG se soit mis en position qu’il puisse rapidement en être autrement. Faire de la politique, c’est d’abord partir du réel, plutôt que de se complaire dans le déni.

Or même si des millions demeurent dans les difficultés économiques et sociales, si le PS faisait par rapport à l’UMP la différence pour un million d’entre eux, pour cent mille d’entre eux, ou même pour un seul, ce serait un million, cent mille, une seule excellente raison de ne pas faire l’amalgame. Du moins pour quelqu’un pour qui être de gauche a véritablement un sens.

S’il ne s’agissait simplement que des postes d’enseignants dans l’éducation nationale, il suffit de se souvenir que la droite en a supprimé des dizaines de milliers par an et créditer le gouvernement socialiste d’en recréer 60 000. Ça fait déjà une sacré différence, une différence essentielle pour les enfants qui en ont besoin et pour peu qu’on veuille bien croire encore un peu en l’égalité des chances. Pour peu qu’on soit un peu de gauche. Un peu, plutôt que radicalement et aveuglément.

Il devrait pourtant être possible de concilier radicalité et lucidité, radicalité et humilité devant les réalités politiques.

Mais non, ils préfèrent livrer le peuple à l’UMP. Une fois de plus. Et de justifier cette trahison par un hasardeux coup de billard en trois bandes : il faudrait d’abord tuer le PS pour que sache émerger électoralement une gauche radicale. Un raisonnement qu’ils osent appuyer sur l’exemple grec – parce que le Pasok est à 8% et Syriza 20 points devant. Prétendent-ils donc qu’il faudrait aux Français subir pendant cinq années les mêmes politiques d’austérité drastiques qu’ont eu à subir les Grecs, disons de 2017 à 2022, pour qu’ensuite, quelques années plus tard, en espérant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, dans un pays qui n’a d’ailleurs absolument pas la même histoire politique, à horizon 2025 donc, ou 2030 si d’abord il s’avérait que le FN rafle la mise, on dispose en France d’une gauche radicale qui dispose d’un peu de poids politique ? Hasardeux, disais-je…

Et puis 2030, ça fait un peu long pour répondre à l’urgence sociale, non ? Sans compter qu’il est savoureux – et tragique – de réaliser que cette stratégie revient à demander aux Français d’en passer par une politique d’austérité redoublée…

Et si la gauche radicale française se décidait enfin à assumer ses propres errements électoraux, plutôt que de les imputer aux socialistes – qui ont déjà fort à faire avec les leurs. A comprendre qu’elle ne parviendra jamais à se faire une santé electorale sur le dos du PS. Parce qu’une alternative crédible à gauche ne se construira pas à coup d’UMPS – ce qui a fonctionné pour le Front National ne fonctionnera jamais qu’en faveur du Front National, parce que l’amalgame décérébré est leur fond de commerce, justement. Parce que la gauche, c’est affronter par l’intelligence la complexité du monde, pas la nier à coup de raccourcis et de simplismes.

Chaque fois que la gauche donne dans l’UMPS, c’est le Front National qu’elle renforce, et c’est elle-même qu’elle affaiblit.

Et c’est le peuple qu’elle trahit.

Et c’est le peuple qu’elle trahit.