Le gauchiste c’est plus ce que c’était, ma bonne dame. Du moins sa version 2.0. Le blogueur gauchiste. Certains.
Ils pensent qu’être de gauche c’est aligner des slogans anti-capitalistes, pérorer dans son fauteuil à propos du peuple et de la révolution, dire des gros mots dès qu’on évoque un socialiste et idolâtrer Mélenchon. C’est à pleurer tellement c’est pauvre, tellement c’est creux.
L’inculture politique de ces zozos est à ce point monumentale que c’en serait risible si ce n’était également bien triste. Parce que la gauche c’est bien plus que cela. On va leur faire une petite leçon, à tous ceux-là qui ne se privent que rarement de nous expliquer à nous, « blogueurs de gouvernements », que nous ne serions pas de gauche, qu’ils seraient eux, et eux seuls, la vraie gauche. Et comme pour une bonne leçon il faut un bon exemple, on va prendre celui de notre bon vieux camarade Gauche de Combat, qu’on pourra aussi connaître comme Monsieur Une-Seule-Solution-la-Révolution.
Ce bon camarade, comme beaucoup de ses congénères, n’a en réalité pas réussi à digérer la défaite de Jean-Luc Mélenchon. Parce qu’ils y ont crû, vraiment crû, et ce en dépit de toute évidence politique. Pis que tout, ils ne digèrent pas que Marine Lepen elle-même soit parvenue à obtenir un score bien supérieur à celui de leur héros. L’affront reçu fut pour eux d’une violence extrême. Extrême car cet affront ne fut pas seulement politique, il fut également sentimental. Ces blogueurs du Front de Gauche ont en vérité cela de commun avec feu les blogueurs ségolistes, ils ont le culte et l’amour du chef, ils ont fait de leur chef une icone qu’il est à leurs yeux sacrilège d’égratigner.
Mais voilà, ils ne pouvaient faire grief au peuple d’avoir rejeté Jean-Luc Mélenchon, ils disaient « nous sommes le peuple » – ce qui, faut bien avouer, était et s’était révélé un brin présomptueux. Ils ne pouvaient non plus tenir Marine Lepen responsable de la défaite de leur champion, cela aurait été lui rendre hommage, admettre qu’elle avait su faire une meilleure campagne, au point de convaincre davantage le peuple. Restaient alors les socialistes. C’étaient les socialistes, forcément, qui leur avait volé la victoire en trompant le peuple avec de fausses promesses et un inadmissible appel au vote utile. En battant Mélenchon, en le reléguant en quatrième position, loin de leurs folles espérances, François Hollande et avec lui tous les socialistes avaient commis un crime de lèse-majesté.
Première leçon de gauche : la gauche n’a pas le culte du chef, la gauche ne saurait se reconnaître une statue du commandeur, et ce en particulier parce qu’être de gauche c’est aiguiser systématiquement son sens critique afin de ne jamais manquer de mettre à terre les statues, symboles s’il en est de l’immobilisme, autrement dit du conservatisme. Hors l’esprit critique, il n’y a pas de gauche possible.
Ainsi donc, nous, blogueurs de gouvernement, étions deux fois coupables. Coupables de soutenir François Hollande, coupables aussi de nous autoriser à l’occasion de critiquer Jean-Luc Mélenchon. Il fallait nous arrêter, nous faire taire, ou du moins discréditer notre parole. On fit notre procès, nous fumes reconnus coupables de traîtrise – nous trahissions la gauche et le peuple. Les noms d’oiseaux se mirent à voler. Mais voilà, nous ne nous taisions pas, pis nous nous autorisâmes à répondre. C’était inadmissible, nous méritions les noms d’oiseaux, eux méritaient le respect, ils eurent alors une grande idée, un grand projet qui allait tout changer : ils allaient rédiger une grande charte des blogs qui édicterait que les blogueurs devaient se respecter les uns les autres. C’était tellement mignon. Et si peu de gauche.
Deuxième leçon de gauche : le respect de l’autre ne s’édicte pas, il relève de la responsabilité individuelle. Il n’y a ni charte des bons comportements, encore moins de tribunaux populaires.
Nous avions refusé de faire notre auto-critique et c’en fut trop pour eux. On décida de nous excommunier de la gauche, de nous faire le coup du mépris, nous ne méritions plus qu’on prenne la peine de la discussion, du débat. Troisième leçon de gauche : le débat est toujours enrichissant, la gauche a l’esprit ouvert, elle fait preuve de tolérance.
Tout alla alors de mal en pis. Et moi-même qui finalement ne blogue qu’assez peu – une quinzaine de billets depuis la fin de l’été et trois seulement depuis le début de l’année – je finis par me retrouver dans la liste noire de nos amis rouges – enfin, plus rougeauds que rouges en réalité… Il faut bien avouer que je l’avais cherché, non seulement j’avais osé me rebeller dans un billet sur les blogueurs de gouvernement, mais j’avais agravé mon cas en commettant un très vulgaire la grosse quéquette à Mélenchon – vous imaginez comme ils avaient apprécié.
Oserai-je à ce stade une quatrième leçon de gauche ? La gauche a le sens de l’humour, en particulier celui de l’autodérision, cette forme douce et bénéfique de l’autocritique…
Mon billet à propos de la fiscalisation des allocations familiales acheva de mettre le feu aux poudres. J’y donnais justement une autre leçon de gauche – je suis un donneur de leçons, vous l’aviez remarqué -, une leçon à cette gauche de la gauche qui en était venue à oublier que l’impôt et sa progressivité était le premier outil de la redistribution donc de la justice sociale. Mais ils n’ont toujours pas compris et j’ai failli recommencer ce matin, à propos de ce qui se passe ou a failli se passer à Chypre, afin de faire valoir que plutôt que beugler de manière pavlovienne sur les vilains eurocrates, on pouvait peut-être envisager que taxer les avoirs bancaires était en soi une forme de taxation du capital et que, pour peu qu’elle exonère les petits épargnants et fasse apparaître des taux progressifs, concentrant le gros du prélèvement sur les comptes à plus de 100 000 euros, ça pouvait s’envisager comme une intéressante évolution, une mesure peut-être préférable à celle qui consistait jusque là à rogner sur les salaires et les pensions de retraite. On pouvait d’ailleurs remarquer avec intérêt que ceux qui beuglaient le plus fort étaient les banquiers, les exilés fiscaux anglais et russes, ainsi qu’en sous-main les mafias adeptes de blanchiment.
Ils parlent de taxation du capital à tout bout de champ, mais ne savent pas en reconnaître une quand elle arrive. On a parfois envie de parler de gauche bovine, tant ils se contentent de ruminer leurs amertumes et de beugler incessamment sur la même note.
Bref, c’était très énervant que je puisse persister de cette manière, arrogante et suffisante, à me dire de gauche, et peut-être même, sous certains aspects, mieux de gauche qu’eux – je n’ose pour ma part dire « plus de gauche », tant cela ne signifie rien à mes oreilles d’homme de gauche, un peu comme si quelqu’un prétendait être plus debout qu’un autre : on est debout ou bien on ne l’est pas, d’une part, et d’autre part chacun est capable de dire s’il est debout ou non.
Par exemple, ainsi que je le dis au camarade La-Solution-C’est-La-Révolution, être de gauche c’est considérer que le peuple c’est 100% des Français et donc reconnaître qu’il n’est pas une entité homogène dont on pourrait se réclamer, ce d’autant plus qu’il n’est pas toujours tout beau tout mignon, le peuple. Et aussi se rendre compte d’un autre côté que la gauche ne saurait se limiter à un Front de Gauche qui ne parvient jamais à recueillir que 12% maximum des suffrages dudit peuple, accepter qu’il y a un peuple de gauche qui en conscience et en toute intelligence, et depuis déjà quelques décennies, est très majoritairement porté à voter socialiste plutôt que communiste – ou Front de Gauche. Comprendre que la gauche est ce qu’elle exprime être dans sa diversité, qu’elle n’est pas seulement ce que l’on voudrait qu’elle soit.
Par exemple encore, et je vise toujours le même, on peut avoir le sens de la nuance et tomber d’accord sur le fait que Valls a sans doute fait une faute politique en déclarant que « les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution », parce que c’est là une généralisation inacceptable – toute la faute est dans ce « les » en début du propos -, dénoncer cette faute politique et en même temps se garder de mettre un peu trop facilement de côté le fait que bon nombre de ces pauvres gens sont en effet dans les mains de mafias qui exploitent leur misère via des réseaux de prostitution et de mendicité, se souvenir donc si l’on veut sincèrement être aux côtés de ces populations qu’il est impératif de combattre ces mafias, et donc de commencer par les pointer du doigt, ainsi que le fit Manuel Valls.
L’exploitation n’est pas uniquement l’apanage des gouvernants et des grands patrons. Loin de là et ce pourrait être une autre leçon de gauche.
Autant de divergences qui me valent aujourd’hui le mépris et les insultes du camarade Gauche de Combat (mais devant son écran). Je dois dire que celles-ci me font plutôt sourire, de la part d’un garçon qui plaidait il y a peu pour une charte des blogs qui contraindrait les blogueurs au respect mutuel. Mais, m’a-t-il confié, puisqu’il ne l’avait pas encore signé… Passons. Ce qui m’a toutefois un peu moins fait sourire, c’est quand un type s’est crû autorisé à me donner du « facho » dans les commentaires du blog du même Gauche de Combat (mais depuis son canapé) et que ce dernier a omis d’user de son pouvoir de modération, lui un type qui se prétend de gauche, qui prétend à une certaine culture politique, qui prétend se réclamer d’un certain sens des valeurs et qui d’ailleurs ne manque jamais dans Twitter d’en faire une tonne quand un gusse s’autorise une blagounette sexiste. Là, pour le coup, il n’y avait pas même la mauvaise excuse de l’humour, juste un bon gros « facho » lâché comme une gerbe de vomis.
Je me suis dis que sa colère contre moi, contre ce que je représente sans doute à ses yeux, l’aveuglait et que lui écrivant un petit mot, il se souviendrait sans doute de ce que sont supposées être ses convictions. Je vous livre la prose que je lui ai adressée en privé :
Tu peux me traiter de con et de tout ce que tu veux sur ton blog ou ailleurs, ne pas m’aimer, considérer que je suis un social-traître, tu as compris que ça ne m’émouvait pas plus que cela, que je considère d’expérience que ceci est parfois le fruit des passions politiques, que ta colère – légitime – doit s’exprimer et tant pis si j’en reçois ma part pour ce que (ou ceux que) je représente selon toi, ou parce que ma manière d’exposer ma pensée te heurte.
En revanche, je ne suis pas sûr que tu doives pour autant tolérer qu’on me traite de facho, je suis même convaincu que cela ne te ressemble pas de le laisser faire.
Voilà, tu fais comme tu veux, puisque cela se passe chez toi. Mais je tenais à te dire ça, te dire que ta colère contre moi, ou même ton mépris, ne devait peut-être pas trop te faire oublier tes convictions, qui j’en suis sûr sont sincères et qui ne permettent pas, je crois le deviner, qu’on donne du facho à n’importe qui.
Amicalement,
dedalus
Non seulement, Monsieur La Révolution (mais plus tard) n’a pas daigné me répondre, mais le qualificatif infamant est toujours sur son blog. Cela ne l’empêchera pas de continuer de la ramener encore et toujours sur la supposée pureté de son engagement à gauche. Admettons, mais là pour le coup ça n’est certainement pas la mienne, de gauche.
Venons-en alors à Cahuzac, dont le cas me vaut le très mesquin tweet qu’il s’est autorisé et qui illustre ce billet. Très mesquin en effet, mais surtout très con, une preuve supplémentaire que ces petits gars tant de gauche sont surtout dans un état d’acculturation politique avancée, au point qu’ils ont perdu toute notion de respect de la personne, ce respect de l’homme auquel s’attache de manière indéfectible le respect de la présomption d’innocence. Je ne vais pas m’éterniser, Nicolas fait très bien cette ultime leçon de gauche. Quant à Juan et Bembelly, ils disent parfaitement tout ce qu’il y a à dire à ce stade sur ce sujet. Le fait est que participer avec un tel acharnement haineux à la curée sur un homme, fût-il un adversaire politique et à propos duquel la justice devra se prononcer, est non seulement malsaine, mais parfaitement indigne d’un homme de gauche. Le lynchage est toujours un populisme, elle en est même la forme la plus canine.
Non, la gauche ce n’est pas sauter comme un cabri en répétant « La révolution ! La révolution ! », ou même un à peine plus élaboré « A bas le capital, vive la révolution ». La gauche c’est un peu plus que cela, un brin plus subtil que cela et tellement plus puissant.
Mais ne vous y trompez pas, ce n’est pas tellement après Gauche de Front-Bas et ses congénères bovins que j’en ai, mais d’abord à Mélenchon qui les a engendrés. J’en veux en effet beaucoup à un Jean-Luc Mélenchon qui, engagé dans une revanche d’abord personnelle, d’abord déterminée par une aigreur politique, a entrainé cette partie de la gauche dont je me suis toujours senti très proche dans une stratégie mortifère pour toute la gauche. A ce titre, les résultats de l’élection législative partielle de Beauvais dimanche dernier sont aussi éclairants qu’effrayants : 1- le peuple de gauche s’est majoritairement abstenu, 2- le Parti Socialiste n’a obtenu que 21,5% des suffrages et est éliminée au profit du FN, 3- le Front de Gauche obtient 6,5% des suffrages et donc à peine plus de 2% des voix de ce peuple dont Mélenchon se gargarise tant. Voilà où nous en sommes.
Le Front de Gauche a en quelques années parcouru un chemin programmatique plus qu’intéressant, porteur de beaucoup d’espoir pour toute la gauche. Mais voilà, tant que sa stratégie politique sera dans une opposition frontale avec le Parti Socialiste, niant de facto la réalité des rapports de force actuels au sein de la gauche, tout ce travail réalisé est voué à une navrante vanité dont seule la droite et l’extrême-droite pourront jamais tirer profit. Car de deux choses l’une : soit nous sommes ensemble la gauche et tout est possible, pour peu que nous donnions du temps au temps, celui de la conviction ; soit ils sont seuls la gauche, les socialistes sont les alliés objectifs de la droite ainsi qu’il leur plait tant à le clamer et, en admettant même que le Front de Gauche passe un jour électoralement devant le Parti Socialiste, il leur faudra encore atteindre seuls les 50%, puisque je n’imagine pas qu’ils puissent accepter de gouverner en s’alliant à cette partie de la droite que seraient les socialistes.
Là, camarades du Front de Gauche, là est le piège mortel dans lequel Mélenchon voudrait vous et nous entrainer, et dans lequel pour ma part il est hors de question que je me laisse prendre. Parce que je suis de gauche et qu’être de gauche c’est peut-être avant tout ne jamais faire le lit de la droite.