Il ne s’agit que d’une seule chose, parce que sans cela rien n’est possible sinon la désespérance, il ne s’agit que d’une seule chose : battre Nicolas Sarkozy. Ne pas prendre le risque, sous aucun prétexte, d’en reprendre pour cinq années supplémentaires. Ne pas, ne jamais, ne serait-ce qu’un instant, imaginer que Sarkozy puisse être battu d’avance. En campagne, cet animal-là est redoutable qui saurait profiter de la moindre faiblesse de ses adversaires pour se maintenir sur son trône. Battre Nicolas Sarkozy, donc.
Comment alors ne pas voir que cette élection primaire organisée par le Parti Socialiste (et Jean-Michel Baylet) pourrait s’avérer le meilleur des tremplins pour le candidat de la gauche – le candidat que se seront choisis les électeurs de gauche. Un formidable tremplin, pourvu seulement que quelques écueils soient évités.
D’abord l’écueil de la division. La droite, relayée avec jubilation par nombre de commentateurs politiques accrédités, nous promettait une foire d’empoigne. On allait voir ce qu’on allait voir, se gaussaient-ils, les coups bas allaient fleuri et le sang des roses ne tarderait pas à gicler en gerbes sur nos écrans de télévisions. Et puis voilà, il semble bien que cet écueil-là soit en passe d’être évité, que le vainqueur de la primaire s’en sortira au pis avec quelques bosses sans conséquences, tout au plus quelques égratignures qui cicatriseront bien vite. Même Ségolène Royal est parvenu à garder le sens de la mesure, c’est dire.
Ensuite était le danger d’une faible participation. Mais là aussi, semble-t-il, l’écueil devrait s’avérer avoir été contourné très au large. Les deux premiers débats ont été des succès d’audience, au point même que l’UMP s’est retrouvé contrainte de ranger sa boîte à éléments de langages : La Primaire des socialistes ? Une pitoyable farce qui n’intéresse pas les Français… Et les instituts de sondages de se risquer désormais à annoncer plusieurs millions de participants – mais un petit million ferait déjà un beau succès. Il n’est pas acquis encore, ce million, mais on le sent à portée de main. Pourvu seulement que nous allions voter, puisqu’en la matière ce n’est rien moins que l’intention qui compte…
Enfin il y a la question de la légitimité du vainqueur, qu’un seul petit grain de sable serait susceptible de faire voler en éclat. Il ne suffirait que d’un second tour qui verraient les finalistes n’être départagés que par quelques centaines de voix… Imaginez ce que cela pourrait donner. Avec le précédent du Congrès de Reims encore dans toutes les mémoires, sûr que les accusations de fraude ne tarderaient guère à fuser. S’en serait aussitôt fini de la belle unité des socialistes derrière leur candidat, lequel n’obtiendrait en guise de rampe de lancement qu’un lourd boulet d’illégitimité à se trimballer tout au long de la campagne à venir. Parions qu’à cette seule perspective Nicolas Sarkozy se pourlèche grassement les babines.
Pourtant, à moins d’une semaine du premier tour, il est acquis, ou peu s’en faut, que ce candidat sera François Hollande. Il n’est qu’à regarder la situation avec un peu de distance.
Jean-Miche Baylet se contente très bien d’une candidature qui n’est que de témoignage. Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont en piste pour 2017, au mieux. Ségolène Royal a définitivement décroché, au point qu’il n’est plus improbable qu’Arnaud Montebourg fasse un meilleur score qu’elle. S’il n’était déjà acquis au début de la campagne des primaires qu’aucun de ces quatre-là seraient à même de battre Nicolas Sarkozy – souvenez-vous, il s’agit avant tout de cela – c’est désormais confirmé, trop peu seront disposés à courir le risque d’avoir, un soir d’avril 2012, à se lamenter sur l’élimination dès le premier tour de Ségolène Royal – par exemple – au profit de Marine Lepen, donc de Nicolas Sarkozy. Bref, il est acquis qu’aucun de ces quatre-là ne saurait sortir vainqueur de la primaire.
Le cas de Martine Aubry est un peu différent. Elle, il y a tout juste quelques semaines de cela, faisait encore illusion. Cette campagne électorale, et en particulier les deux débats, auront eu au moins le mérite de nous donner à comprendre qu’elle n’avait somme toute pas l’épaisseur politique requise pour résister à un affrontement électoral face à Nicolas Sarkozy, affrontement qui s’annonce redoutable. Elle s’est en effet montré trop souvent hésitante, friable, peu convaincante, incapable de défendre une ligne politique claire. Et pour tout dire, je suis pour ma part convaincu qu’elle paie là le formidable boulot qu’elle a accompli durant plus de trois ans à la tête du Parti Socialiste afin de le mettre en ordre de bataille, le doter d’un projet politique ambitieux et résolument ancré à gauche, et enfin créer les conditions de cette élection primaire. Persuadée en outre que Dominique Strauss-Kahn irait, elle n’était tout simplement pas prête à endosser le difficile costume de présidentiable – et même avant celui-là, celui, blindé, de la candidate qui saurait se montrer solide face à un Nicolas Sarkozy qui n’hésitera pas à se montrer féroce. Mais qu’importe les raisons, le fait est qu’elle a raté sa campagne. Au point que certains en viennent à douter qu’elle parvienne même conserver son rang de challenger.
A l’inverse, François Hollande est prêt. Ayant accompli sa mue politique, se plaçant habilement au-dessus de la mêlée, il a su devenir le candidat naturel des socialistes. De toute évidence, il sait où il va, dispose d’une stratégie politique mûrement réfléchie, a pris la mesure de l’attente des Français et de leur besoin de changement, a fait sien le projet politique des socialistes tout en le passant au tamis de sa propre réflexion. Il est prêt, non seulement à battre Nicolas Sarkozy, mais également à devenir le prochain président de la République. Aucun des cinq autres candidats n’est en mesure de prétendre à autant.
Certes, aucune élection n’est jouée avant que tous les bulletins n’aient été glissés dans les urnes. Il est cependant possible d’affirmer dès aujourd’hui que François Hollande sera – sauf évènement imprévu, donc improbable – le candidat des socialistes. Pas seulement parce que les sondages le disent – et avec une avance suffisante pour résister à toute marge d’erreur – mais aussi parce que de toute évidence chacun des autres candidats ne concourt plus désormais au mieux que pour une place de finaliste. Leur situation est finalement assez simple à décrire : ils jouent perdant, cela se voit, donc ils perdront. Et François Hollande l’emportera.
L’évidence est même en vérité si grande qu’il est aujourd’hui tout à fait raisonnable d’envisager que François Hollande sorte vainqueur de la primaire dès le premier tour. Tout simplement parce que l’immense majorité des électeurs de gauche ne parvient plus désormais à imaginer qu’un autre que lui puisse sortir vainqueur de la primaire et qu’en conséquence, plutôt que de lui faire prendre le risque d’un second tour qui ne pourrait être que plus violent, plus diviseur et qui serait susceptible de se conclure sur le fil avec de très sales rumeurs de fraude dont l’UMP ferait ses choux gras, autant placer ce candidat dans la meilleur position possible, c’est-à-dire celle d’une légitimation incontestable, entérinée par plusieurs millions d’électeurs et, donc, dès le premier tour.
Alors en effet, j’ai résolu pour ma part de voter pour François Hollande et je vous invite à envisager la situation comme je l’envisage pour peut-être en faire autant. Mais si même vous ne me suiviez pas dans cette analyse, il demeure crucial que nous soyons réellement plusieurs millions à aller voter dimanche prochain, de telle manière que le candidat de la gauche – quel qu’il soit, mais ce sera François Hollande – se retrouve dans les meilleures conditions possibles pour battre la droite. Car ne nous trompons pas, battre Nicolas Sarkozy, ça commence le 9 octobre.