Je crois qu’il est plus que temps d’expliquer, en particulier à nos commentateurs professionnels de la vie politique, journalistes et éditorialistes, ces bons Messieurs de la presse, que la droite et la gauche n’ont pas tout à fait le même rapport à la parole.
A droite, la parole est un acte politique – et cinq années de sarkozysme l’ont plus que largement démontré. Pour eux, gouverner c’est parler et parler c’est parler plus fort que les autres. Pour eux, parler n’est pas écouter, échanger, débattre : parler c’est asséner, étouffer la contradiction, donner l’impression d’avoir déjà agi. Pour eux, la parole n’est rien d’autre qu’un instrument de communication, donc de manipulation.
A gauche, la culture du débat est une réalité et cela signifie que la parole est aussi libre que l’écoute est nécessaire. A gauche, la parole n’est pas un acte, elle le précède et le prépare. A gauche, discussions, débats, négociations ne sont pas des signes de faiblesse, elles sont la démocratie en action, l’expression de sa force. A gauche, il n’y a pas la culture du chef, ce chef qui édicte pour des sous-fifres qui se contentent ensuite de répandre la bonne parole, le doigt sur la couture du pantalon, en bons petits soldats lobotomisés. Et c’est ainsi qu’à gauche on ne parle pas de chef de l’Etat ou de chef du gouvernement, mais d’un président de la République et d’un premier ministre – ce qu’ils sont et sont censés être, faut-il le rappeler.
Et c’est ainsi aussi qu’à gauche, parce qu’il ne s’agit pas que de communiquer, les mots ont un sens et le débat est une richesse – et il n’y a de débat que contradictoire. Débattre de la dépénalisation du cannabis n’est pas sale. Débattre autour de la question des 35 heures ne l’est pas non plus. Et déclarer qu’aucune question n’est tabou est, pour un homme de gauche, simplement énoncer une évidence.
Il n’y a pas de couacs, il y a une parole libre, du débat, un esprit de discussion qui irrigue la société, la nourrit et la fait avancer. L’idée du couac est créé par l’emballement médiatique, cette volonté de tout monter en épingle afin de créer l’évènement, c’est-à-dire de l’inventer. Le couac, ce n’est que le choix fait par une presse malade de sur-vendre la moindre parcelle d’information, en l’amplifiant et en la dramatisant, en la caricaturant au besoin.
Une presse malade. Pas seulement malade d’internet. Pas seulement en difficulté financière. Malade du sarkozysme, intoxiquée par ces années où gouverner était assurer le spectacle, quant chaque jour l’on était abreuvé, gavé jusqu’à l’écœurement de déclarations fracassantes censées à elles seules tenir lieu de politique, quand annoncer une décision avec force fracas était censé tenir lieu de décision, quand le président de la République gesticulait sans fin, était à la fois président, premier ministre et tous les ministres, lesquels n’étaient que de simples exécutants, quand Sarkozy racontait chaque jour l’histoire qu’il voulait que les Français entendent, quand ses petits soldats ânonnaient jusqu’à plus soif les éléments de langages de cette histoire, et quand les médias s’en trouvaient nourris à peu de frais – parce que l’information politique était conçue pour faire spectacle, était organisée en un flux continu de simplismes qui leur tombaient pré-mâchées dans le bec et qu’ils leur suffisaient de nous les recracher, en un flux non moins continu.
Ce qu’ils appellent des couacs, des maladresses, des preuves d’amateurisme, ce n’est que le retour du débat et de la parole dans l’espace public. C’est une respiration qui renait tandis qu’expire peu à peu le sarkozysme – mais sa rémanence survit encore sur le palimpseste médiatique.
Il va falloir seulement qu’ils se réhabituent. Qu’ils se déshabituent du sarkozysme et de ses facilités, puis qu’ils se réhabituent à la complexité d’un débat qui demande de l’analyse, de la mise à distance, de la mise en nuances, en perspectives, quand les mots ont un sens et quand la négociation est source de dépassement des contradictions. Quand la parole et sa diversité d’expression est le préalable nécessaire à toute décision qui se veut efficace – en sus d’être respectueuse de la démocratie, parce que la démocratie n’est pas uniquement l’outil qui fait les gouvernements, mais aussi l’outil qui les nourrit, qui enrichit leur action.
Couac !
Entendez-vous le creux coincoin du canard médiatique cancanant dans son bourbier sarkozyste six mois après qu’on lui a coupé la tête ?
Couac ! Couac !
Il court encore, le canard sans tête…