Blogueurs de gouvernement, ainsi sont qualifiés tous ceux qui, sept mois après l’élection de François Hollande à la présidence de la République, cinq mois après les élections législatives qui lui ont donné une majorité de gauche, quelques semaines après que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a fait voter par le parlement les premières décisions de politiques économiques, budgétaires et fiscales, et alors que des réformes d’ampleurs sont en cours – c’est-à-dire discutées avec les partenaires sociaux et « sociétaux » – tant sur le plan économique que social, depuis le champ judiciaire jusqu’à celui de l’éducation, en passant par le droit des femmes, la question de l’immigration ou celle de l’égalité devant la mariage, tous ceux donc qui n’ont pas immédiatement, ou pas encore, versé dans la critique systématique et virulente, voire outrancière, de l’actuel et donc tout récent pouvoir socialiste.
Blogueurs de gouvernement. Il s’agit par exemple de Juan, de Nicolas et d’Elooooody. D’autres encore, mais il est difficile de donner des noms, puisqu’il semble qu’on devienne blogueur de gouvernement chaque fois que sur un sujet, de préférence parmi les plus médiatisés – traité européen, réforme fiscale, modulation de la TVA, aéroport de Notre-Dame des Landes, mariage pour tous, droit de vote des étrangers, et ces jours-ci sauvetage de Florange et lynchage de Cahuzac – chaque fois donc qu’un blogueur choisit d’accorder un peu de crédit au gouvernement. Du coup, la cohorte des blogueurs de gouvernement est plutôt fluctuante, en fonction de l’actualité. Ainsi, moi-même qui ne blogue que très épisodiquement depuis le mois de mai, suis-je semble-t-il assez unanimement reconnu comme tel.
Blogueurs de gouvernement. Bien entendu, c’est censé être infamant. Ces blogueurs-là, tout de même, imaginez-vous, ils soutiennent ceux qui trahissent. Au mieux, ils se refusent à participer à la curée, ils rechignent à dénoncer la traitrise avérée, patente, d’un gouvernement qui se prétend de gauche mais qui cède systématiquement devant les forces du capital, les suppôts du libéralisme, la grande finance internationale, les agences de notation, les diktats des patrons, et j’en passe…
Blogueurs de gouvernement ?
L’appellation est un brin risible, mais elle ne me dérange pas. Pourquoi pas. Le fait est que ces blogueurs-là ont l’avantage, à mon sens, d’assumer un rôle politique. Si j’osais, je dirais qu’ils sont, que nous sommes des réalistes. Ils connaissent les rapports de force et ont choisi de ne pas les ignorer. Ils n’oublient pas d’où l’on vient – et vers quoi nous sommes appelés à retourner très vite si nous n’y prenons garde. Ils ont un idéal politique de gauche – chacun le sien – mais savent qu’il y a un chemin à parcourir qui ne saurait être dépourvu d’obstacles qu’on ne surmonte pas toujours et d’embûches sur lesquelles il arrive parfois qu’on trébuche. Ils ont refusé de jouer le rôle facile, autant qu’inutile, de la mouche du côche, quand il ne suffit que de beugler (si mouche savait beugler) : « A gauche ! A gauche, bordel ! Encore plus à gauche, bande de traîtres ! Bzzzz… »
Inutile ? Que dis-je, c’est parfaitement mortifère !
Parce que dans l’attente des résultats d’une politique économique pour laquelle les Français ont voté – faut-il rappeler le score de Jean-Luc Mélenchon, donc des idées qu’il portait ? -, nous n’oublions pas – et la liste n’est pas exhaustive :
- qu’une réforme de la Justice de grande ampleur est engagée et que ce n’est pas anecdotique,
- qu’une réforme d’une non moins grande ampleur est dans les tuyaux à l’Education Nationale et que ce n’est pas non plus une paille,
- que la politique du logement reprend quelques couleurs – sans même évoquer les réquisitions – et que c’est essentiel,
- que la politique fiscale a emprunté un tout autre chemin sur lequel les plus riches contribuent enfin plus parce que l’impôt sur le revenu est devenu plus progressif, parce que l’imposition des revenus du capital est désormais en voie d’alignement sur ceux du travail,
- que des critères de régularisation des sans-papiers ont été mis en place de manière transparente et équivalente sur l’ensemble du territoire,
- que le mariage pour tous deviendra bientôt une réalité,
- que les droits des femmes ont dores et déjà progressé,
- sans parler de l’instauration d’une dose de proportionnelle, du non-cumul des mandats, de la réforme du statut du Président de la République, et de bien d’autres réformes qui verront le jour dans les prochains mois, voire les prochaines années – parce qu’un mandat, c’est cinq ans…
Sans oublier, et c’est tout autant primordial, que la présidence normale, c’est-à-dire la sortie de la désastreuse ére Sarkozy, est une réalité incontestable. La volonté d’une société apaisée, l’esprit de discussion, de consultation, de négociation et, oui, forcément, de compromis, a repris ses droits dans la manière dont nous sommes gouvernés. S’en est fini de la politique du coup médiatique permanent, des effets d’annonces à répétition, de la stigmatisation et de l’outrance d’Etat, de l’impudeur et du mépris, de cette présidence Sarkozy qui a durablement pollué l’espace public et gangréné les esprits – et l’on voit combien les médias et leurs journalistes ont du mal à s’en remettre, combien nous-mêmes avons du mal à en sortir.
Alors bien sûr, ça ne suffit pas. Ça ne saurait suffire et il faudra bien que la politique économique conduite par le gouvernement porte ses fruits, ou quelques fruits pour le moins. Parce que la crise est une souffrance pour beaucoup, parce que le chômage est une gangrène, parce que la pauvreté est un désastre.
Mais voilà, d’une part l’élection de François Hollande s’est faite sur ce projet économique là, au coeur duquel il y a le respect des 3% de déficit et l’objectif de résorption de la dette. Or ce n’était pas le moindre des engagements du candidat, pas la moindre de ses promesses électorales. Au nom de quoi renoncer à celle-ci en particulier ne constituerait pas une « trahison » ? J’aimerais assez qu’on m’explique.
Et d’autre part, aucune politique économique ne saurait produire des résultats en moins d’une année – et une année c’est encore bien court. Or on peut reconnaître à François Hollande une certaine constance quant au chemin qu’il a proposé aux Français : d’abord réduire le déficit, surmonter la crise et retrouver la croissance ; ensuite, au bout de deux ans, redistribuer. On peut être en désaccord avec cette stratégie, le fait est que c’est à cet endroit qu’il a été élu par les Français et que c’est cette gauche et pas une autre qu’ils ont porté au pouvoir, sans la moindre ambiguïté. Deux ans.
Dans un an, donc, nous aurons un premier aperçu sur les résultats concrets de cette politique. Et une courbe du chômage qui se serait inversée sera en effet un bon indicateur. Et puis dans deux ans. Et puis les années suivantes pour une étape plus conforme aux canons de la gauche.
Alors en attendant, je veux bien être un blogueur de gouvernement. Parce que c’est là, j’en suis convaincu, que je sers le mieux la gauche, toute la gauche – c’est-à-dire pas seulement celle que je conçois et qui n’est pas nécessairement celle de la majorité, de gauche, choisie par le peuple français. Parce que servir la gauche, c’est aussi éviter le retour de la droite. Parce qu’une gauche imparfaite est toujours mille fois préférable que n’importe quelle droite, du point de vue de ceux qui souffrent le plus de la crise, ainsi que des inégalités et des injustices dont elle est la mère. Parce qu’en politique, il est essentiel de donner du temps au temps.
Mais pis encore, je veux bien même signer avec cette gauche-là pour les quinze prochaines années pour seulement que soit remise sur ses deux pieds l’école de la République, laquelle a été méthodiquement dévastée par la droite ces dix dernières années, et le serait encore davantage si elle revenait aux affaires. Je signerais parce que là est le coeur de toute politique de gauche, dans un certain rétablissement de l’égalité des chances, afin que les mômes qui rentrent à l’école aujourd’hui ne soit pas, dans quinze ans, à l’image de la génération sacrifiée de la décennie UMP. Parce que je suis convaincu que la réussite économique d’un pays passe d’abord par la formation de sa jeunesse, par sa capacité à donner à ses enfants les armes intellectuelles et culturelles leur permettant de croire en eux-mêmes, d’espérer en un avenir, d’être et puis de devenir.
Et si on m’autorisait à n’y mettre seulement qu’un petit grain de sel supplémentaire, j’y ajouterais le rétablissement des droits de succession à une hauteur réellement redistributive. Mais je ne veux pas trop en demander, je ne suis après tout qu’un « blogueur de gouvernement ».
Allez, je vous dit tout. J’étais parti pour faire un billet très court, vous invitant à aller lire les trois derniers billets de Juan qui me semblaient à eux trois dire parfaitement ce qu’il y avait de politiquement très pertinent dans le discours nuancé d’un blogueur de gouvernement. Et puis, évidemment, je me suis laissé embarquer par ma propre réflexion…
Allez les lire quand même, c’est très intéressant : Désolé de vous décevoir, En 2017, la croisée des chemins de la gauche impeccable et Comment Florange a été saboté.