Leonarda a 15 ans et est la fille de parents Kosovars présents illégalement sur le territoire français depuis le 26 janvier 2009. Sur décision de justice, ils ont été expulsés mercredi dernier, 9 octobre.
Sur les conditions de cette expulsion, il y a deux versions, c’est-à-dire probablement deux manières d’observer le déroulement des évènements vécus par Leonarda. La première est celle relatée par les professeurs de cette dernière, sur Mediapart : Léonarda, 15 ans, arrêtée et expulsée pendant une sortie scolaire. La seconde est la version délivrée par la préfecture du Doubs, on peut la lire ici par exemple. Si on lit bien, par-delà l’émotion et la colère compréhensibles des enseignants, par-delà la froideur administrative de la préfecture, c’est la même histoire.
Or cette histoire est humainement désastreuse et fait mal. Comme celle des milliers et dizaines de milliers d’histoires de migrants à travers la planète et qui se déroulent aujourd’hui comme autant de drames de la misère.
Au-delà de l’émotion, il y a pourtant une question politique et je ne suis pas certain que l’emballement actuel participe de la bonne manière de la poser.
Je pense qu’il est nécessaire de comprendre que ce qui nous touche est que les migrants en situation irrégulière ont affaire à la police, non parce qu’ils auraient commis un crime, mais parce qu’ils se retrouvent en situation irrégulière, après avoir fui des conditions de vie difficiles dans leur pays d’origine dans l’espoir d’en trouver ailleurs de meilleures. Il n’en reste pas moins qu’ils se retrouvent en situation irrégulière, donc en contravention avec la loi.
Partant de là de deux choses l’une : on peut changer la loi et mettre fin à l’irrégularité de tous les migrants, pour aujourd’hui et pour demain, c’est-à-dire qu’on accorde des papiers à tout le monde sans la moindre exception, automatiquement à toute personne qui souhaite s’installer en France, ou bien il faut bien accepter, si l’irrégularité est reconnue par la loi, qu’elle entraîne l’expulsion, donc une situation chaque fois humainement douloureuse, aux frontières de l’acceptable.
Je n’entends personne réclamer explicitement que la France devienne un pays ouvert à tous ceux qui souhaitent y faire leur vie, sans condition. Ce qui signifie qu’il existera toujours des étrangers en situation irrégulière sur le sol français, donc toujours des expulsions, donc toujours des drames humains – qu’ils soient médiatisés ou non.
La misère est inacceptable. Tout commence à cet endroit. Est-il cependant possible de ressentir la douleur des migrants sans en profiter pour l’exploiter politiquement ? Ceux qui ont la charge de faire les lois et de les faire respecter – les responsables politiques, les juges et les policiers – sont-ils forcément des nazis comme au bon vieux temps du CRS-SS ? Sont-ce eux qu’il faut combattre ou bien la misère elle-même ? C’est certes un combat plus ingrat, parce que sans fin. Il aurait néanmoins l’avantage d’être plus sincère.
Je suis outré, blessé, attristé par ce qui est arrivé à Léonarda et à sa famille. Mais je parviens à l’être sans en rendre responsable Manuel Valls ou François Hollande. Sans aussitôt chercher à exploiter politiquement la douleur d’une famille, sa misère et sa douleur. Ce qui ne me dispense pas de me poser quelques questions.
Pourrait-on changer quelque chose aux lois actuelles concernant les migrants en situation irrégulière sur le territoire français afin qu’une telle situation ne puisse se reproduire ? J’entends le PCF « exiger du Président de la République un engagement solennel et immédiat de stopper sans délai toute expulsion de jeunes étrangers scolarisés, mineurs ou majeurs, dans notre pays ». Soit. Comment voit-on alors les choses chez mes camarades communistes ? On sépare les familles, les parents sont expulsés, pas les enfants ? Ou bien n’expulse-t-on plus aucune famille avec enfants ?
Parce qu’en France, tous les enfants, y compris de parents en situation irrégulière, ont l’obligation d’être scolarisés. Cela signifie que toutes les familles du monde qui arriveront en France seront immédiatement régularisables – sauf à vouloir réenclencher la machine à fabriquer des sans-papiers. Je ne suis pas certain que cela soit souhaitable, mais je serais preneur du point de vue de mes amis de vrauche – contraction de « vraie gauche », pour ceux qui auraient oublié – sur la question. Mais voilà, ils se gardent généralement de pousser bien loin le raisonnement. Les simplismes… c’est tellement plus simple. Alors je repose ma question : Qu’est-ce qui cloche exactement dans la loi actuelle, dans les décrets en vigueur et comment, mais alors précisément, comment les modifier afin d’éviter qu’une telle situation, ou une autre tout aussi dramatique, puisse se reproduire ?
Et puis d’autres questions me viennent, à propos de ce qui est arrivé à Leonarda :
Dans cette situation, que fallait-il faire ? Ne pas faire appliquer la loi ? Ce n’est, je crois, pas une option pour ceux qui sont chargés de la faire respecter. Le faire plus humainement ? Sans aucun doute, mais en ce cas il ne s’agirait pas de Manuel Valls, de François Hollande, des juges ou même de la police en général, mais des quelques policiers qui ont conduit cette affaire précise de cette manière précise – et en particulier sans respecter la sanctuarité de l’école !
Mais avaient-ils la possibilité d’attendre le soir, que la jeune fille rentre chez elle après sa sortie de classe ? Peut-être. Est-ce que ça aurait évité le drame de l’expulsion ? Certainement pas. Et puis, on peut aussi se demander s’il n’est en réalité pas préférable que ces choses-là se passent au grand jour, plutôt qu’en douce, le soir, une fois chacun rentré chez soi, les camarades de classe, les professeurs…
Je n’ai pas les réponses. Sinon répéter que tant qu’il y aura de la misère, de tels drames humains se reproduiront. Ils lui sont pour ainsi dire consubstantiel, Manuel Valls ou pas Manuel Valls.
Et puis, répéter que l’école est un sanctuaire au sein de la République et que s’il y a eu faute, elle doit après enquête être sanctionnée et l’arrêté d’expulsion être annulé, en effet (vidéo ci-dessous).
Je pourrais continuer mon petit refrain, mais ce qui me vient ensuite a été très bien dit par le camarade Jegoun. J’aime tout particulièrement ce passage :
Elle est étrange cette gauche qui accusait Sarkozy de faire une loi par fait divers et qui fait un scandale à chaque fait divers sous la gauche. Elle est étrange cette gauche qui accusait la droite de faire le lit du FN en médiatisant ce genre d’histoire et qui fait un scandale médiatisant une histoire en accusant Manuel Valls de faire le lit du FN.
Pourrait-on enfin, devant ce genre de circonstances dramatiques, éviter de réagir systématiquement sous le coup de l’émotion – ainsi que Sarkozy nous en avait fait prendre la très mauvaise habitude – et se servir d’un drame humain pour l’exploiter politiquement ? Pourrait-on sereinement discuter, échanger, réfléchir, et puis agir afin de trouver les pistes qui permettent que les choses changent vraiment ?
Faire appel à la raison plutôt qu’à l’émotion, ce serait pour le coup enfin sortir du sarkozysme. C’est possible ?