Il n’y a aucun suspens. Un journaliste, de son propre chef ou sur commande de sa rédaction, posera une question à François Hollande en suite aux révélations du magazine Closer sur sa vie privée.
Il ne s’agira pas, pour ce journaliste en question, d’obtenir une réponse sérieuse à une question sérieuse qui préoccupe tout le monde. Elle n’existe pas, cette question. Essayez… Elle n’existe pas.
Il s’agira de faire semblant, afin de voir si on peut faire parler le président sur ce sujet, à propos duquel il n’a évidemment rien à dire, du moins pas dans le cadre de ses fonctions. Parce qu’on sait que le sujet est embarrassant pour lui, politiquement embarrassant parce que ce n’est justement pas un sujet qui relève de la politique.
Et le journaliste ne posera pas la question de savoir si François Hollande trouve Julie Gayet bonne ou super bonne, si elle accepte la sodomie, si lui-même d’ailleurs serait pratiquant, ou même plus sobrement si elle et lui sont amoureux, ou s’il s’agit seulement d’un plan cul. Il ne demandera pas à quand remonte leur premier baiser, si ça été le coup de foudre, s’ils ont couché le premier soir, s’ils parlent d’avenir, de faire des enfants, de voyager ensemble, à Venise peut-être, toutes ces questions qui ne concernent que les magazines pipoles et qui sont en réalité les seules qui nous intéresseraient, celles qui, ne nous mentons pas, piquent notre curiosité, ce petit côté voyeurs que nous avons tous, parce que quand même c’est plutôt marrant.
Sauf que ces questions n’ont pas leur place dans une conférence de presse de cette nature et qu’un président de la République n’a évidemment pas à répondre à de telles questions. Que ne dirait-on pas d’ailleurs si il y répondait. Imaginez : « Julie et moi, c’est du sérieux. » Inimaginable ! «J’aime particulièrement quand je la prends sur une chaise. » Pas plus.
Alors le journaliste va biaiser. Très probablement, il évoquera le statut officieux mais bien réel de la première dame de France, avec laquelle le président n’est pas marié. « Nous avons appris qu’elle avait été hospitalisée. Comment va-t-elle ? », osera-t-il peut-être pour commencer. « Va-t-elle, peut-elle désormais demeurer à l’Elysée ? Et Julie Gayet, a-t-elle vocation à l’y remplacer ? D’ailleurs, confirmez-vous que vous avez une relation avec cette dernière ? » Dans ce goût-là. Rien qui passionnera les foules. Rien de très croustillant, mais rien de politique non plus.
Un autre angle possible serait celui de la sécurité du président. Question qui ne serait pas moins hypocrite si l’on veut bien se souvenir que François Mitterrand se promenait régulièrement à pieds dans les rues de Paris, souvent à la nuit tombée. Rien de croustillant, rien de politique. Mais l’essentiel est que vienne enfin le moment tant attendu, le moment embarrassant, la réponse du président, ou bien sa non réponse, son refus de répondre.
Peu importe, à la fin il y aura eu peu ou prou deux heures de conférence de presse. Maints sujets auront été abordés, depuis la politique internationale, et la situation en Afrique, jusqu’à la politique économique, la lutte contre le chômage, la politique du logement, la fiscalité des ménages et leur pouvoir d’achat, les charges des entreprises et leur compétitivité, la dette de la France et même Dieudonné. Des annonces auront été faites, des orientations auront été fixées, des engagements auront été pris, ou pas. Le fait est que beaucoup de choses importantes auront été dites et qui concerneront ce qui a trait à la fonction présidentielle, laquelle est une fonction essentiellement politique, inspirer la politique du gouvernement de la France par exemple…
A la fin, donc, il reviendra aux journalistes de faire leur boulot et de hiérarchiser l’information.
Ce matin, ils font mine, tous, de se demander si la question de la vie privé de François Hollande viendra polluer la conférence de presse du président de la République. Mais c’est à eux d’en décider ! C’est eux et eux seuls qui décideront de comment rendre compte de cette conférence de presse. Rien ne s’imposera à eux qu’ils ne s’imposeront eux-mêmes. C’est eux qui poseront les questions aux hommes et femmes politiques qui viendront réagir sur les plateaux, comme aux éditorialistes et autres chroniqueurs politiques, c’est eux qui donneront la place qui revient à chacune des questions qui auront été abordées, comme à chacune des réponses que le président aura fournies, satisfaisantes ou non.
Que le président de la République décide ou non de répondre à La Question, ce sont les journalistes qui décideront ou non d’en faire des tonnes sur sa réponse ou son refus de répondre. Eux qui feront les commentaires. Eux qui hiérarchiseront. Eux qui porteront en définitive toute la responsabilité. Parce que c’est leur boulot.
Ce sont eux, les journalistes, qui en définitive décideront de polluer ou non la conférence de presse du président de la République avec la question sur sa vie privée, ce n’est pas la question elle-même, ni la réponse ou la non réponse de François Hollande. C’est ce qu’ils en feront, eux, les journalistes. C’est l’écho qu’ils choisiront de donner à une question et à la réponse qu’elle recevra. A eux de hiérarchiser et d’assumer de polluer ou non la dimension politique de cette conférence de presse.
Un journaliste ne fait pas l’information, pas plus qu’il ne la subit. Il la hiérarchise et il l’organise. C’est son boulot. Et puisque c’est son boulot, c’est aussi sa responsabilité. On leur saura gré donc de savoir enfin l’assumer.