De quoi j’me mêle ?
Les députés français ont voté une loi pénalisant la négation du génocide arménien.
La première question qui vient à l’esprit est : pourquoi aujourd’hui ce besoin de légiférer ? A-t-on récemment entendu en France des gens clamer que le génocide arménien n’avait pas eu lieu ? Assiste-t-on en France à un débat acharné autour de cette question ? Combien même d’historiens français travaillent-ils sur cette période de l’histoire turque et arménienne ? Et, parmi ceux-là, combien nient la réalité du génocide ? Peu. Aucun ? Pourquoi alors cette soudaine nécessité de légiférer ?
Faire la leçon à la Turquie ? Rassurer la communauté arménienne de France ? Est-ce bien là le rôle de la représentation nationale ? On pourrait tout aussi bien faire une loi pénalisant la légitimation de l’intervention américaine en Irak, afin de faire la leçon aux Etats Unis d’Amérique et rassurer la communauté irakienne de France. Et une autre qui pénaliserait la négation de l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center, pour faire la leçon à Al Quaïda. On pourrait voter la pénalisation du soutien à l’autorité palestinienne et ses chefs terroristes, pour faire la leçon au Hamas et soutenir la communauté juive de France… ou le soutien à l’Etat Israélien et sa politique d’occupation des territoires palestiniens et d’oppression du peuple palestinien – une bonne leçon pour Israel, non ?
Ou bien, ne faudrait-il pas mieux que la France se garde un peu de son côté donneuse de leçon, laisse chaque Etat et chaque peuple faire le chemin de sa propre histoire et de ses propres errements, et se préoccupe davantage de balayer devant sa porte, regarder les grosses poutres qu’elle a dans son oeil historique. Et à ce propos je suggérerais bien à la Turquie de voter une loi condamnant la négation d’une France qui a largement et activement collaboré avec l’autorité nazie, prenant toute sa part, durant la seconde guerre mondiale, dans la déportation et le processus d’extermination des juifs français ; cette France qui aujourd’hui encore se plaît surtout à glorifier sa minorité résistante, a mis longtemps avant de reconnaître la responsabilité prise par l’Etat français installé à Vichy, et se garde surtout d’incriminer le comportement peu glorieux de son peuple, soumis, passif et à l’occasion collaborateur.
On justifie cette loi sur le génocide arménien en faisant le parallèle avec le négationisme qui vise le génocide juif commis par l’Allemagne Hitlérienne et ses alliés – dont la France, donc. Mais c’est là feindre d’oublier que ce qui rend condamnable ce négationisme-là n’est pas dans la négation historique elle-même, mais bien dans sa dimension antisémite : afin que le juif soit coupable, il est nécessaire de lui retirer son image de victime. C’est le juif, ennemi sournois et menaçant, qui est visé par ce négationisme-là et qui en fait sa spécificité, assimilable à l’antisémitisme, donc au racisme, ce qui de fait le rend condamnable au regard de la loi française, comme l’est toute apologie du racisme ou de l’antisémitisme.
On ne peut en aucun cas prétendre que la négation du génocide arménien, aussi blessante puisse-t-elle être pour le peuple arménien, viserait à stigmatiser ce peuple. La négation de ce génocide-mà est essentiellement la difficulté d’un Etat à se retourner sur son histoire et à l’assumer. Difficulté sur laquelle, pour bien la connaître, la France devrait se garder un peu plus de se faire donneuse de leçon. Elle y gagnerait en sens de la décence.
La loi française – et c’est tout à son honneur – condamne l’apologie du racisme, de l’antisémitisme, ou de l’homophobie. C’est à ce titre que la négation de la Shoah fait en droit français l’objet de sanctions pénales. restons-en là et ne dérivons pas vers la pénalisation de toute négation historique en tant que telle, au risque d’atteindre gravement à la liberté d’expression. Il doit être possible en France de nier que Jean Moulin fût un grand résistant, que le général de Gaulle fût un libérateur, que l’on coupât la tête à Louis XVI, que Jeanne d’Arc fût pucelle ou qu’un vase fut cassé à Soisson. Je veux, pour ma part, pouvoir continuer à clamer haut et fort que jamais Zidane n’a mis un coup de tête à Materazzi, un soir de finale de coupe du monde, en l’an de grâce 2006, quand l’équipe de France fut sacré pour la seconde fois championne du monde de football…