Dans le bois, à la nuit tombée, silence et ombre.
Le sol gelé est dur comme de la roche. Un vent froid se fraie un lent passage parmi les arbres aux branches noueuses et décharnées, immobiles. Les oiseaux se cachent, sans doute pour éviter de mourir.
Paul envie les lapins qu’il devine calfeutrés dans leur terrier, et jalouse leur épaisse fourrure. La bâche en plastique sur laquelle il est allongé le protège de l’humidité, un peu. Mais elle ne le protège pas du froid. Il a enfilé trois pulls et glissé du papier journal par en dessous. Et dans son pantalon aussi. Mais cela ne suffit pas. Le froid pénètre partout, à travers ses chaussures dont les semelles sont usées, dans son cou, dans son dos, dans ses os. Recroquevillé autour de lui-même, grelottant, il ne trouve pas le sommeil.
Paul envie les lapins dans leur terrier. Chaque lapin dans chaque terrier, sous la terre, blotti contre sa femelle lapin. Il lui fait sa petite affaire et puis il s’endort, le lapin. A l’abri et en sécurité. Bien au chaud dans son doux foyer de lapin. Paul se concentre sur ce mot : foyer. Il émane de lui l’idée de la chaleur. Cela évoque en lui un lit et un toit, un feu de cheminée où les flammes dansent dans un crépitement joyeux et le plaisir d’un bol de soupe bouillante qu’on tient entre ses mains et les cris des enfants qui jouent et se chamaillent et les mots tendres qu’on échange après l’amour et avant de s’endormir et les dîners en famille qui s’éternisent et les retours silencieux au milieu de la nuit après une soirée bowling avec les copains et les parties de jambes en l’air en plein après-midi avec la voisine et les dimanches soirs télé pizza bière doigts de pieds emmêlés dans la couverture et un lit qu’on réchauffe avec sa propre chaleur corporelle avant de s’endormir en écoutant la pluie crépiter sur un toit qui nous protège de plus que cela.
Paul a froid aussi parce qu’il a faim. Et aussi parce qu’il est seul. Paul a froid parce qu’il est épuisé d’avoir faim et froid, épuisé de n’avoir pour compagnie que de vieux souvenirs qui ne sont pas tous les siens et qui ne parviennent plus à lui donner la force de croire à demain. L’idée de la chaleur ne le réchauffe plus. Il s’endort dans le froid et c’est de tout cela qu’il meurt. De froid, de faim, de solitude et de l’envie qui s’est épuisée en lui et en même temps que lui. Il s’endort, enfin, et meurt, Paul, juste comme ça.
En ville, au lever du jour, on compte plus un.
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Source : Dans le froid |