A la Comédie Française, jusqu’au 14 janvier 2006. De Samuel Beckett, avec Catherine Samie et mis en scène par Frederick Wiseman.
Le propos de la pièce est universel, comme toujours avec Beckett : Que faire avec ça, la vie ? Que faire en attendant la mort… ou Godot ? Que faire de notre existence et comment passer les jours, l’un après l’autre ?
Ici, une femme, Winnie, prise dans le sable. D’abord jusqu’au torse, puis jusqu’au cou, prisonnière de sa fragile condition humaine, n’ayant à sa disposition pour passer les jours que les phrases qu’elle peut penser et dire, un sac contenant quelques objets pour faire, et un homme pour l’écouter dire et la regarder faire. Un homme, c’est-à-dire Willie, son compagnon qui n’est pour elle qu’une présence assez lointaine, mais qui lui permet de ne pas se sentir tout à fait seule.
Et chaque jour, Winnie se réjouit de pouvoir dire et faire, de pouvoir être regardé et écouté, même s’il y a si peu à dire et à faire qu’on redit et refait chaque jour peu ou prou les mêmes mots et les mêmes choses. Elle se réjouit de vivre, malgré tout, malgré le sable qui la prive chaque jour un peu plus de sa liberté de mouvement, et restreint chaque jour un peu plus son petit univers.
C’est une situation on ne peut plus tragique. Et ce contraste entre cette femme qui se réjouit très vélléitairement de sa condition et le tragique de cette condition, sa finitude, qui est la nôtre aussi, ce contraste devrait pour le moins provoquer en nous de puissantes émotions, depuis le rire jusqu’aux larmes.
Mais d’émotion il n’y a point, ou si peu. Catherine Samie est, comme toujours, splendide, parfaite… trop parfaite sans doute, au point que la prouesse technique de la comédienne prend le pas sur l’émotion. On n’y est pas. La distance entre elle et nous est trop grande. Trop grande aussi parce qu’elle évolue – ce n’est pas le mot ici -, elle s’incarne dans un décor sans âme, assez laid en vérité et très artificiel, qui plutôt que de placer la comédienne au niveau du sol et du public l’élève au-dessus de l’un et de l’autre, l’éloignant, mettant une distance là où ce qui nous sépare devrait se réduire jusqu’à nous oppresser.
Au final, la pièce manque son but. On applaudit Catherine Samie pour ce qu’elle a donné, avec passion sans doute, avec une virtuosité qu’on ne peut lui enlever, mais on est resté froid, comme tenu à distance… alors que toute la pièce repose sur le principe de l’attraction, l’attraction terrestre qui nous suce et nous empêche de nous mouvoir librement et finalement de nous élever, l’attraction de la mort qui pèse inexorablement sur toute vie et nous terrifie, l’attraction enfin qui s’exerce en chacun de nous et nous rapproche les uns des autres qui partageons le même destin de l’existence terrestre.
Je ne me suis pas senti en empathie avec Winnie, dont le destin m’a laissé froid alors qu’il n’aurait pas dû. De ce fait, en dépit de toutes ses qualités, et d’abord ce texte formidable, cela fait un spectacle raté. Dommage.