« Et ton père ? » – Lulli, chapitre 3
« Et ton père ? » C’est la question qu’elles posent sur l’oreiller quand elles veulent que la conversation prenne un tour plus intime, qu’on mêle nos pensées après avoir mêlé nos sécrétions. C’est qu’il arrive toujours le moment où il faut parler de soi, histoire de sans doute se prouver qu’il ne s’agit pas uniquement de sexe, l’intimité des mots pour se préserver de l’impudeur de deux corps qui se sont secoués et pénétrés l’un l’autre. Encore essoufflée, elle enroule une jambe autour de votre bassin, pose une main à plat sur votre torse, joue comme sans y penser avec une touffe de poils, en tournant lentement de l’index, et, le visage niché dans votre cou, la voilà qui se raconte dans un long murmure étudié. Et puis, parce que c’est confidence pour confidence, elle susurre : « Et toi ? Parle-moi un peu de toi maintenant. »
On se débat avec ça quelques instants, on marmonne un peu, on devient rapidement ennuyeux parce qu’on a rien envie de dire, parce qu’on ne la connaît pas tant qu’on veuille à ce point lui confier son âme. Mais elle dit : « Et ton père ? Parle-moi un peu de ton père » – manière sans doute de savoir où vous en êtes avec votre œdipe. Pas de père, je répondais. Un résumé plus qu’un mensonge, et l’espoir qu’on en reste là, qu’elle n’insiste pas davantage. C’était le contraire qui se produisait. Ça n’avait fait qu’attiser sa curiosité, ce mystère qu’elle croyait deviner – et son index se mettait à tourner plus vite dans les poils, à tirer comme par inadvertance et ça faisait un peu mal. Avec une pointe dans les aigus, assez désagréable, elle s’exclamait soudain : « Mais voyons, tout le monde a un père ! »
Je me taisais. Persister dans le mutisme, attendre que ça lui passe, et peut-être qu’elle saurait ne pas s’appesantir davantage, un reste de pudeur qui la retiendrait d’aller plus loin. Le silence répandait la suspicion, devenait suspect lui-même, et cruciale la question qu’elle posait. Et bientôt elle n’y tenait plus, s’énervait, exigeait une réponse. Il fallait en dire davantage, livrer un peu de soi, lui donner un os à ronger avant que ne vienne l’hystérie : « Il est mort ! Mon père, il est mort quand j’avais quatre ans. »
Oh ! désolée, elle faisait, portant une main à sa bouche. Elle ne savait pas, n’aurait pas dû insister. Elle bégayait et s’excusait cent fois, s’apitoyait maladroitement : un orphelin, comme c’est touchant ! Elle redoublait de tendresses, pour se faire pardonner, se lovait plus près. Pauvre petit, murmurait-elle, empoignant le sexe de l’orphelin, mon pauvre petit chéri, ronronnait-elle une dernière fois avant de l’engloutir.
[…]
Lulli est ce premier roman que j’ai résolu de publier sous forme de livre électronique (format .epub) et de diffuser via ce blog au rythme d’un chapitre par semaine. Nous en sommes au chapitre 3 et vous venez d’en lire les premières lignes. La suite est à lire sur iPhone, iPod Touch, IPad ou toute liseuse supportant le format epub : Cybook, Sony Reader, Kindle… , voire également sur votre ordinateur – c’est possible et sans difficulté – mais ce serait dommage.
Fidèle à la nature de ce site, c’est-à-dire à sa raison d’être – une vitrine -, les 12 chapitres que comporte ce roman seront successivement disponibles pour un téléchargement gratuit. Les commentaires de chaque billet vous permettent, si vous le souhaitez, de partager entre vous – et avec moi – vos impressions de lecture, au fil de celle-ci ou bien à son terme (qu’il soit prématuré ou non).
Bonne lecture !
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Téléchargement : Lulli – chapitre 3
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Source : « Et ton père ? »
(A suivre : Lulli, chapitre 4…)