Ce matin, je me suis levé en me disant que j’allais me faire XXXXX pour mon petit-déjeuner. Faut dire que j’étais un peu énervé. Inutile de dire pourquoi, ce n’est plus d’actualité. C’est con parce que j’avais trouvé un titre de billet qui me plaisait. Je crois que je vais au moins garder le titre.
J’ai renoncé à me faire le petit plaisir de croquer du XXXXX quand j’ai réalisé que lui et YYYYY semblaient très potes. Or il me semble que YYYYY est un garçon tout à fait sympathique. Il n’y a, me suis-je dit à l’oreille et dans un accès rare d’humilité, aucune raison pour que la mauvaise opinion que j’ai de XXXXX ne soit pas aussi mal placée (ai-je la faiblesse de croire et sans humilité aucune) que l’animosité dont XXXXX – cette couille molle – fait preuve à mon égard.
Raisonnement un peu tordu s’il en est, puisqu’il peut également conduire à s’interroger sur les raisons qui me rendent tant sympathique cet YYYYY, lequel après tout pourrait bien faire la paire avec son ami XXXXX.
C’est que le blogage devient une activité très particulière dès lors qu’on cesse de la pratiquer en solitaire. On est amené à faire des rencontres, à échanger sur tout un tas de vrais sujets avec tout un tas de vrais gens, jusqu’à parfois développer une certaine forme d’intimité avec certains – ou certaines. Et s’il est parfaitement aberrant de qualifier de virtuelles de telles rencontres, il y manque quelque chose d’essentiel qui permettrait d’aller jusqu’à prétendre qu’elles seraient tout à fait réelles.
Chacun aura sa propre opinion quant à ce qu’il y manque. Je dirais que pour ce qui me concerne, il s’agit du regard et du sourire. On ne connaît jamais vraiment quelqu’un tant qu’on n’a pas eu l’occasion de le regarder dans les yeux et d’échanger avec lui un sourire, fut-il factice ou de convenance. Un visage – c’est-à-dire l’expression d’un regard et la faculté de sourire – en proclame davantage à propos d’une personne que tous les mots qu’on pourra jamais échanger avec elle. Du moins est-ce mon sentiment.
Mais cette absence est tout autant une richesse qui fait tout le sel de ces rencontres entre blogueurs, leur spécificité. Aussi ai-je jusqu’à présent pris grand soin d’éviter toute perméabilité entre deux mondes qui forment en moi comme deux réalités différentes. C’est pourquoi je promène mon petit navire sur la grande Touale drapé dans un pseudo. Non pas qu’il me rendrait anonyme – il est aisé à qui veut savoir d’apprendre que dedalus (sans majuscule) est Laurent Mann. Mais, au contraire, le pseudonyme me binonymise (osons ce néologisme) : un nom différent pour chacune de mes réalités. C’est pourquoi, aussi, je me suis systématiquement refusé à participer aux petites sauteries entre bloggeurs – en outre, il m’a toujours semblé qu’il s’agissait essentiellement d’assemblées d’hommes (du moins très majoritairement) et il se trouve (je vous dis tout) que j’ai beaucoup de mal à supporter les ambiances viriles.
Il reste donc que je ne connais pas XXXXX – cette couille molle. Bien sûr, de même qu’il arrive que deux personnes qui se sont rencontrées sur l’internette finissent par copuler – et certaines poussent le vice jusqu’à faire ça devant leur maire -, il se pourrait parfaitement que rencontrant XXXXX dans un bar j’en vienne à lui mettre un coup de boule – mais je vous l’ai dit, je déteste les ambiances viriles. Je ne peux néanmoins tout à fait exclure que YYYYY ait en vérité très judicieusement placé son amitié et que nous en venions tous ensemble à joyeusement nous taper virilement dans le dos en jouant à celui qui pissera le plus loin.
C’est pourquoi, chers lecteurs et chères lectrices, plutôt que de donner dans le règlement de compte imbécile, il m’est venu que c’était là très certainement l’occasion d’en terminer avec tout ça et de retrouver un temps de cerveau disponible qui me permettra de me consacrer avec peut-être plus d’efficacité à mon propre nombril – comme Ségolène R, en somme.
Nicolas J, qui est un expert en blogage, m’a récemment conseillé de n’être jamais avare en liens, parce que la logique de l’internette était de créer des passerelles et de former des réseaux. Je lui ai répondu que j’oubliais toujours.
Annexe, à toutes fins utiles : Couilles molles est l’insulte qui déclencha la guerre des boutons, dans le roman éponyme. Une insulte qui est reçue par les enfants comme une déclaration de guerre pour la simple raison que ne la comprenant elle leur apparaît comme d’une extrême gravité. Cons, andouilles, voleurs, cochons, pourris, crevés, merdeux pouvaient passer encore, pas couilles molles.
Les guéguerres sur l’internette sont souvent du même ordre en ce qu’elles reposent sur un autre fantasmé dont on est enclin à se méfier, à supposer qu’il nous veut du mal. Paranoïa ordinaire dont quelques réactions à ce billet sont une illustration supplémentaire. Paranoïa ordinaire qui m’avait dans un premier temps conduit à sur-réagir, avant de me reprendre et de réorienter mon billet.
D’où le titre et ce couille molle que je reprends comme un gimmick appuyé.
L’aîné des Gibus, qu’on appelait par contraction Grangibus pour le distinguer du P’tit Gibus ou Tigibus son cadet, parla ainsi :
– Voilà ! Quand nous sommes arrivés, mon frère et moi, au contour des Menelots, les Velrans se sont dressés tout d’un coup près de la marnière à Jean-Baptiste. Ils se sont mis à gueuler comme des veaux, à nous foutre des pierres et à nous montrer des triques. Ils nous ont traités de cons, d’andouilles, de voleurs, de cochons, de pourris, de crevés, de merdeux, de couilles molles, de…
– De couilles molles, reprit Lebrac, le front plissé, et qu’est-ce que tu leur z’y as redit là-dessus ?
– Là-dessus on « s’a ensauvé », mon frère et moi, puisque nous n’étions pas en nombre, tandis qu’eusses, ils étaient au moins tienze et qu’ils nous auraient sûrement foutu la pile.
– Ils vous ont traités de couilles molles ! scanda le gros Camus, visiblement choqué, blessé et furieux de cette appellation qui les atteignait tous, car les deux Gibus, c’était sûr, n’avaient été attaqués et insultés que parce qu’ils appartenaient à la commune et à l’école de Longeverne.
– Voilà, reprit Grangibus, je vous dis maintenant, moi, que si nous ne sommes pas des andouilles, des jeanfoutres et des lâches, on leur z’y fera voir si on en est des couilles molles.
– D’abord, qu’est-ce que c’est t’y que ça, des couilles molles ? fit Tintin.
La Crique réfléchissait.
– Couille molle !… Des couilles, on sait bien ce que c’est, pardine, puisque tout le monde en a, même le Miraut de Lisée, et qu’elles ressemblent à des marrons sans bogue, mais couille molle !… couille molle !…
– Sûrement que ça veut dire qu’on est des pas grand-chose, coupa Tigibus, puisque hier soir, en rigolant avec Narcisse, not’meunier, je l’ai appelé couille molle comme ça, pour voir, et mon père, que j’avais pas vu et qui passait justement, sans rien me dire, m’a foutu aussitôt une bonne paire de claques. Alors…
L’argument était péremptoire et chacun le sentit.
Extrait de La Guerre des boutons, Louis Pergaud
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Source : XXXXX est une couille molle |