Chez Bernard-Marie Koltès, il n’y a pas les bons et les méchants. Le salaud, lui aussi, possède une histoire qui lui est propre et un coeur béant où il lui arrive de souffrir. Et l’opprimé n’est pas un saint, lui non plus. Chez Koltès, il y a des personnages, humains, c’est-à-dire aussi en proie à l’animalité, des êtres qui livrent un combat contre eux-même, occupés à survivre. Des chiens qui se tournent autour en se reniflant le derrière, montrant les crocs à l’occasion.
Le nègre n’est là qu’un autre de ces chiens. Ou bien il serait tel si le sujet de la pièce était la nègritude, ou l’homme africain (comme dit l’autre). Mais il ne s’agit pas de cela. Le sujet serait plutôt l’homme européen, son combat, son face à face avec l’Autre, c’est-à-dire d’abord face à lui-même. Face à ses démons, pour le dire autrement. L’Autre, c’est ce qu’il ne comprend pas, y compris en lui-même. Sa solitude.
C’est sans doute cela qui donne le sentiment d’une pièce légèrement datée, qui a du mal à nous atteindre. C’est que le monde a changé en trente ans, ou du moins la perception que nous avons du monde et donc de nous-mêmes. Nous, les européens, qui ne sommes plus les Blancs. Ou plus seulement cela.
Pourtant, le texte a une portée plus universelle, où les personnages ont une formidable épaisseur, que magnifie la force du noeud dramatique. Il était sans doute possible de prendre appui là pour bâtir un grand spectacle.
Michel Thalheimer, au contraire, a insisté sur la vision raciale, largement dépassée, d’une insurmontable fracture entre monde blanc et monde noir. Toute sa mise en scène tend a exacerber cette idée de l’inaccessibilité de l’homme noir, forcément grand, beau et incorruptible, à l’homme blanc, forcément corrompu et vil, tragiquement ridicule. Une mise en scène qui finalement tient un propos inverse, et tellement plus étriqué, à ce que saurait dire encore ce combat de nègre et de chiens et qui est bien plus vaste.
Le décor, tout en lignes et en volumes, est une réussite esthétique. Seulement, il n’est pas justifié. On a le sentiment que la mise en espace et le jeu des comédiens – rien à dire, très bons – se sont trouvés soumis à ce décor, quand on a davantage tendance à imaginer que ce serait au décor de se plier aux choix du metteur en scène, qu’il en devrait être la prolongation plutôt que la contrainte.
Au résultat, on ne déteste pas. Seulement, on reste en dehors.
Source : Combat de nègre et de chiens