Sep 232013
 

au-monde-pommeratJ’ai découvert Joël Pommerat sur le tard, il y a une paire d’années. A peine. Sa réputation avait eu le temps de grandir, et le précédait déjà de plusieurs longueurs. Je l’avais découvert dans Cercles / Fictions. J’écrivais alors : « Le propos est souligné d’un trait parfois grossier, si bien qu’il en devient ici par trop transparent et simpliste, et là par trop obscur et abscons. L’on en ressort avec un sentiment mitigé« .

Mais c’était mon premier Pommerat et j’étais surtout conquis. J’écrivais complaisamment : « Joël Pommerat est en effet un illusionniste et son théâtre est celui de l’illusion. Il convoque, et combine avec un grand art, sons, lumières et odeurs, écrans de fumée et poudre aux yeux, pour créer l’illusion du réel. Non pas le réel comme on l’observerait au travers d’un miroir, mais le réel comme on s’en souviendrait : la réalité d’une ambiance, d’une impression, d’une émotion« . 

J’étais impatient de voir Ma Chambre Froide. On en disait tant de bien. La déception n’en fut que plus grande : « J’ai détesté ce théâtre réactionnaire où l’on fait rire des bourgeois sur le dos des prolétaires, où l’on fait rire le capitaliste sur le dos de l’exploité. Mais je veux bien porter au crédit de Joël Pommerat et de ses comédiens que ce n’était pas ce qu’ils recherchaient et me contenter de dire que ratant sa cible et son propos, ce spectacle est lui-même raté. Dramatiquement« . 

Mais je gardais à Joël Pommerat le crédit de pouvoir être à la hauteur de sa réputation, que celle-ci n’était pas surfaite. L’an passé j’allais donc voir La réunification des deux Corées en y croyant toujours. Nouvelle déception. J’oubliais même d’en rédiger une critique. Toujours la même histoire : créer l’illusion d’une réalité rêvée en jouant des sons et de la lumière, unique décor pour une mise en scène finalement très statique, des comédiens justes mais servant en gros sabots un propos sans finesse.

Pourquoi donc Joël Pommerat avait-il donc la réputation d’être un grand. Ces spectacles pour enfants, mais pas seulement pour eux, étaient peut-être à l’origine de cet engouement qui me semblait jusqu’ici finalement assez immérité. J’allais donc voir Cendrillon. Même topo. Un bel écrin de sons et de lumières pour un grand vide, ou plutôt pour une breloque mal taillée et aux reflets criards. Ce n’était pas mauvais, mais ce n’était certes pas très bon non plus.

C’était peut-être qu’il fallait voir ses premières créations, que Joël Pommerat s’était depuis perdu en chemin, qu’il ne se contentait plus que de soigner ces effets de style que le public aime tant, oubliant qu’il s’agissait d’abord de dire. Ça tombait bien, l’Odéon présentent cette année deux « des pièces qui ont le plus contribué à faire connaître la personnalité artistique de Pommerat« .

J’ai donc vu Au Monde.

Je pense de plus en plus que le théâtre de Joël Pommerat relève en réalité davantage du truquage et de l’habileté que du théâtre. Le procédé est finalement assez simple – pas nécessairement sa mise en œuvre, mais qu’importe. Il s’agit de découper le spectacle en tranches, des tableaux soigneusement et ponctuellement éclairés qui naissent chacun d’une profonde obscurité, créant chaque fois la surprise – sauf qu’on finit tout de même par s’y attendre. Dans lesdits tableaux, principalement en noir et blanc, et quelques nuances de gris, les comédiens, essentiellement statiques, telles des ombres, disent leur maigre texte dans un micro cravate, le son ainsi amplifié semblant aux spectateurs venir à la fois de partout et de nulle part.

Là-dessus, dans cette ambiance à la fois hyper réaliste et pseudo onirique, il s’agit de dérouler le fil d’une idée – que l’on cherchera à taire et à contourner, mais qui en devient rapidement transparente. Ici, nous avons une redite grossière de Tchekhov : un morceau des Trois Sœurs, une pincée de La Mouette et pas grand chose de plus C’est sans intérêt. Les non-dits sont censés provoquer du mystère et susciter l’inconfort, mais tout cela est tellement creux – jusqu’au discours politique un brin démago – qu’on ne parvient qu’à s’y ennuyer.

J’irai voir Les Marchands, mais cela sera cette fois définitivement sans plus aucune illusion. Joël Pommerat est d’avantage un truqueur qu’un metteur en scène – et il ne me semble pas non plus être un grand auteur. C’est peut-être surtout cela, peut-être que s’il ne s’obstinait pas à ne mettre en scène que ce dont il est l’auteur, peut-être alors l’illusion viendrait servir un propos que la mise en scène serait en mesure de grandir et de magnifier. Peut-être qu’on y verrait se déployer des passions et la catharsis saurait alors se produire.

Il n’y a pas de théâtre sans auteur, pas de création artistique sans un propos et sa sublimation. Le théâtre ne saurait être qu’un peu de poudre aux yeux.