L’Art de la Joie, de Goliarda Sapienza
L’Art de la Joie : juste un extrait
Une gourmandise sucrée-salée de quelques 600 pages. Le livre d’une vie, celle d’une femme insoumise à travers son siècle italien. L’Italie comme on la suppose, c’est-à-dire comme on l’aime. Une femme que l’on voudrait avoir bien connue. A dévorer lentement… pour de chaque page savourer le nectar, de chaque mot la poésie brutale. Un roman dont chaque page est un roman. Quelques mots extraits de ce livre fulgurant de Goliarda Sapienza, comme une mise en bouche – morceaux choisis pas tout à fait au hasard :
Que faisais-je au milieu de ces stylos et de ces crayons alignés sur mon bureau ? Ou était-ce un autel ? J’avais commencé par jeu… Mais en regardant en moi-même je vis mon avenir : prise dans ce traquenard, les jambes coupées par le piège « d’être quelqu’un ». J’avais fui le couvent ; mais la religiosité jetée par la fenêtre ressurgissait par quelque trou de ma chambre, chevauchant le rat de l’esthétique. Je le vis, le rat mystique. Les yeux couleurs de rouille de l’insatiabilité scrutaient, voraces, des recoins ombreux. Ils épiaient ma jeune chair, ma poitrine, pour trouver une fissure et entrer en moi et ronger l’ossature de mon squelette soudée par la joie. L’arrêtant net, je sus que je m’étais justement méfiée, et que quelques instants d’inconscience encore m’auraient fait tomber hors de la réalité en proie à cette drogue nommée « artiste », drogue plus puissante que la morphine et la religion. Il comprit et il détacha son regard du mien pour s’enfuir.
[extrait de « L’Art de la Joie » de Goliarda Sapienza, aux éditions Viviane Hamy.]