Tout le monde en parle, chacun à son avis, alors je me décide à en dire un peu plus qu’un mot. Dire simplement que le téléchargement ne saurait être illégal, dire qu’avant même que le législateur se décide, via la loi HADOPI, d’user de répression, cela fait maintenant dix ans qu’on use d’une culpabilisation qui n’a pas lieu d’être.
Toute cette histoire est en réalité assez simple. Afin de préserver leurs rentes, et plutôt que de s’adapter à la dématérialisation des supports en mettant en place de nouveaux modèles économiques, les industries de la musique et du cinéma, avec la complicité des gouvernements, s’évertuent depuis des années à laisser croire qu’échanger des fichiers sur internet s’apparenterait à du vol, alors que ce n’est que l’appropriation par les citoyens du progrès technique.
Lorsque l’on inventa le fil à couper le beurre, on ne déclara pas illégal son utilisation. Lorsque la locomotive à vapeur devint réalité, les gens se mirent à prendre le train et les chevaux ne se mirent pas à ronchonner. Lorsque les soutiens-gorges libérèrent la femme, les fabricants de corsets s’adaptèrent plutôt que de pester après les mamelles infidèles. Lorsque la télévision pénétra dans les foyers, le Général de Gaulle ne la déclara pas illégale au prétexte que les français n’allaient plus prendre le temps de se reproduire. Lorsque la jeunesse des années 80 se mit à enregistrer sur cassette toute la musique d’une bande FM libérée, l’industrie de la musique ne se trouva pas moribonde.
Depuis que le monde est marchand, à mesure que le progrès technique poursuit sa marche en avant, tandis qu’hommes et femmes s’approprient les nouvelles inventions et en tirent profit pour s’élever au-dessus de leurs anciennes conditions, les industries s’adaptent et développent de nouveaux modèles économiques – ou disparaissent et laissent la place à d’autres.
Depuis que le monde est marchand, certaines industries parviennent à mettre à profit une situation donnée pour tirer une rente de leur activité. Pour celles-là, le progrès technique a toujours été et sera toujours une menace – non pour elle-même, mais pour ladite rente, cette part excessive du gâteau qu’elles ont réussi à s’approprier aux dépens d’autres acteurs de la filière, généralement les consommateurs qui paient un prix trop élevé, mais aussi des intermédiaires qui reçoivent une rémunération anormalement réduites pour leurs prestations.
Et ainsi, depuis que le monde est marchand, les industries rentières sont-elles particulièrement réfractaires au progrès technique. C’est qu’en bons libéraux, elles savent que toute rente a pour vocation de disparaitre, soit par le simple jeu de la concurrence, soit via le progrès technique. Et toute leur stratégie consiste donc, non pas à freiner le progrès – lequel est inéluctable -, mais à s’en approprier l’essentiel des bénéfices futurs en empêchant aussi longtemps que possible sa concrétisation présente, afin tout de même de faire durer la rente.
Il y a deux dizaines d’années, les grands monopoles dans le domaine des télécommunications ont ainsi freiner des quatre fers devant la libéralisation du marché, l’émergence de la téléphonie mobile puis celle de la téléphonie par internet. Il s’agissait pour ceux-là de conserver leurs rentes de monopoles. Ils n’allèrent cependant pas jusqu’à oser prétendre que le GSM était un piratage téléphonique – cela aurait semblé par trop risible. On entendit toutefois quelques voix réclamer que fût déclarée illégale la téléphonie sur internet. On sait aujourd’hui ce qu’il advint : Orange, anciennement France Telecom, est leader sur le marché français de la téléphonie mobile, comme sur celui de la box internet – qui permet de téléphoner de manière illimitée sans surcoût, apparemment gratuitement…
Mais revenons au téléchargement. Je télécharge sur internet parce que la possibilité technique existe. Pis, cela ne provoque en moi aucun cas de conscience : je n’ai absolument aucune crainte pour la rémunération des artistes qui ont contribué aux oeuvres que je télécharge. Cette responsabilité-là revient de toute évidence aux industriels qui ont contracté avec lesdits artistes ; il ne s’agit pour eux – les industriels – que de distribuer autrement, c’est-à-dire mieux, plus efficacement, les sommes considérables qui circulent sur ce marché qui n’est pas celui de l’art. Il ne s’agit que d’allocations optimales des ressources et de la mise en place d’un modèle économique adapté à cette nouvelle donne technique. S’il est probable en effet que cela conduise à mettre fin à une rente qui n’a que trop duré, disons que ça ne m’émeut que très moyennement.
Je n’ai aucune inquiétude pour la vitalité artistique. Depuis que le monde est monde, celle-ci n’a jamais été liée à l’importance de la rémunération des artistes, pas plus que l’importance de cette rémunération n’a jamais été liée à l’importance du prix auquel les marchands décident de vendre au public les oeuvres dont ils ont fait l’acquisition des droits. Non, je ne suis pas inquiet : plus ou moins miséreux, il y aura toujours des troubadours qui pousseront ici ou là la chansonnette – et dont beaucoup resteront à tirer le diable par la queue tandis que les industriels de la musique et quelques artistes à succès s’engraisseront démesurément.
Dit autrement, si nombre d’artistes connaissent de grandes difficultés à vivre convenablement de leur art, ce n’est certainement pas le public qu’il faut en tenir pour responsable – ainsi qu’on cherche à nous le faire croire. Réjouissons-nous plutôt que public il existe et regardons plutôt du côté des producteurs et des diffuseurs qui brassent maladroitement des sommes considérables – en pleurnichant à l’occasion qu’elles s’amenuiseraient. Regardons plutôt, aussi, en direction des politiques culturelles et des budgets correspondants qui ne cessent, en effet, de s’amenuiser.
Culpabilisation et répression ne font pas une politique culturelle, encore moins un modèle économique viable. Ce ne sont là que quelques forces réactionnaires qui sont ici, comme partout, à l’ouvrage.
EDIT : L’ami Rimbus a pondu un excellent article qui viendra utilement en complément de celui-ci. Mais il y a aussi celui de Nicolas et celui de Seb – ça m’apprendra à faire un petit tour de oueb avant de déposer ma propre petite crotte.
Source : HADOPI