Le bloggeur est une espèce de plus en plus prisée par et dans les médias traditionnels.
Nombre de versions numériques de journaux nationaux hébergent des blogs sur leur plateforme, de 20Minutes (gratuit) à Le Monde (payant). Mediapart qui est une plateforme média exclusivement numérique, et à accès payant, fait de même. Quant à Le Post, ce sont les bloggeurs maison qui alimentent le journal en ligne – encore qu’on puisse s’interroger ici sur la dénomination de bloggeurs – et certains d’entre eux, qualifiés d’Invités, sont rémunérés.
On ne compte plus, dans les médias traditionnels, les articles ou les chroniques ou les reportages façon Qu’en disent les bloggeurs. Betapolitique fait sa sélection d’articles parmi les bloggeurs. Le journal papier Vendredi est quant à lui entièrement composé par une sélection d’articles de bloggeurs. Et dernièrement, c’est Courrier International qui a proposé un partenariat avec certains d’entre eux.
Les bloggeurs sont cités un peu partout, des extraits de leurs billets sont repris ici ou là – et parfois donc des billets entiers. On leur propose d’intervenir à la radio ou sur les plateaux de télévision, on recueille leurs avis, on les invite à suivre tel ou tel évènement particulier. Au Congrès du Parti Socialiste, certains d’entre eux avaient un accès presse.
Bref, le bloggeur fait vendre. Car il ne faut pas se leurrer, il s’agit d’abord de cela : le phénomène du bloggage fait vendre. Mieux que cela, tout numérique soit-il, il fait aussi vendre du papier.
Il s’agit pourtant moins de la valeur ajoutée qu’apporterait le bloggeur à l’information que du fait qu’il est supposé ne pas faire partie d’un sérail journalistique, lequel vit actuellement une profonde crise de confiance, donc d’audience. Le bloggeur est un représentant du peuple et le peuple – lecteur, auditeur ou télespectateur – aime s’entendre. Il aime donner son avis et le partager. En ce sens, la popularité des bloggeurs est à rapprocher du succès des émissions où Vous avez la parole.
La différence est que le bloggeur est identifiable, qu’il est ciblé en tant que tel par les médias qui en font leur beurre. Et voilà le bloggeur de se demander tout naturellement si une partie de ce beurre ne devrait pas légitimement lui revenir. Il s’interroge sur son statut au sein du grand bourdonnement médiatique et se pose la question de sa rémunération.
Aussi naturel cela soit, il a tort. L’engrenage de la rémunération est celui de la professionalisation. A terme, d’une manière ou d’une autre, il se trouverait récupéré. Un phénomène tout aussi naturel que la question qui y conduirait. On ne peut faire semblant : on ne fait jamais de la même manière selon qu’on en espère ou non une rémunération ; et l’autocensure, aussi inconsciente soit-elle, est la pire de toutes les censures, parce que la plus sournoise.
Dans la chaîne journalistique, le bloggeur est un témoin et se perdrait donc à ne pas le rester.
Le bloggeur parle depuis lui-même et témoigne de ce qu’il observe. Or on ne rémunère pas un témoin. Rémunérer un témoin c’est de facto le corrompre, c’est-à-dire corrompre son témoignage.
Une précision nécessaire pour en terminer : en aucun cas je ne jette la pierre à tel ou telle qui obtiendrait rémunération de son activité de bloggeur. Tout le monde n’a pas les moyens ou même l’envie de renoncer à un complément pécunier, aussi symbolique soit-il. C’est le symbole que je pointe, et ce à quoi, on le sait, il tend : l’institutionnalisation, qui est une contrainte et une uniformisation, et pour le bloggeur la promesse de devenir un notable 2.0.
Alors je le répète, parce que tout est là : On ne rémunère pas un témoin.