Déc 222010
 

Le piège était grossier.
Et l’appât trivial.

« Chiche ? Même pas cap ! » C’est par cette invitation façon cour de récréation que Guy Birenbaum conclut sa petite adresse au peuple d’internet – du moins, à la petite part qui fréquente son épicerie.

Et, devinez quoi, ça a parfaitement fonctionné. On a titillé la testostérone et, ça manque jamais, la testostérone a répondu. Six Huit Douze Seize Vingt réponses – à l’heure où j’écris je mets à jour -, et ce sont six huit douze quatorze dix-huit garçons (et donc seulement deux filles !) qui, menton en avant et cervelle en berne, s’en vont poser leur bite sur la table.

Pitoyable.
Et cela sans même avoir à juger de la qualité du matériel.

C’est ce que pour ma part il me plait d’appeler le syndrome de la couille molle.

L’aîné des Gibus, qu’on appelait par contraction Grangibus pour le distinguer du P’tit Gibus ou Tigibus son cadet, parla ainsi :

– Voilà ! Quand nous sommes arrivés, mon frère et moi, au contour des Menelots, les Velrans se sont dressés tout d’un coup près de la marnière à Jean-Baptiste. Ils se sont mis à gueuler comme des veaux, à nous foutre des pierres et à nous montrer des triques. Ils nous ont traités de cons, d’andouilles, de voleurs, de cochons, de pourris, de crevés, de merdeux, de couilles molles, de…

– De couilles molles, reprit Lebrac, le front plissé, et qu’est-ce que tu leur z’y as redit là-dessus ?

– Là-dessus on « s’a ensauvé », mon frère et moi, puisque nous n’étions pas en nombre, tandis qu’eusses, ils étaient au moins tienze et qu’ils nous auraient sûrement foutu la pile.

– Ils vous ont traités de couilles molles ! scanda le gros Camus, visiblement choqué, blessé et furieux de cette appellation qui les atteignait tous, car les deux Gibus, c’était sûr, n’avaient été attaqués et insultés que parce qu’ils appartenaient à la commune et à l’école de Longeverne.

– Voilà, reprit Grangibus, je vous dis maintenant, moi, que si nous ne sommes pas des andouilles, des jeanfoutres et des lâches, on leur z’y fera voir si on en est des couilles molles.

– D’abord, qu’est-ce que c’est t’y que ça, des couilles molles ? fit Tintin.

La Crique réfléchissait.

– Couille molle !… Des couilles, on sait bien ce que c’est, pardine, puisque tout le monde en a, même le Miraut de Lisée, et qu’elles ressemblent à des marrons sans bogue, mais couille molle !… couille molle !…

– Sûrement que ça veut dire qu’on est des pas grand-chose, coupa Tigibus, puisque hier soir, en rigolant avec Narcisse, not’meunier, je l’ai appelé couille molle comme ça, pour voir, et mon père, que j’avais pas vu et qui passait justement, sans rien me dire, m’a foutu aussitôt une bonne paire de claques. Alors…

L’argument était péremptoire et chacun le sentit.

Extrait de La Guerre des boutons, Louis Pergaud

Il suffisait pourtant seulement d’expliquer gentiment à Guy Birenbaum qu’un blogueur n’est rien d’autre qu’un chroniqueur dont le support est un blog. Qu’un bon chroniqueur n’est pas un chroniqueur qui possède l’art de bien passer à l’image. Qu’il est à ce titre assez parlant qu’il – Guy Birenbaum, aspirant éditeur – donne à ce point de l’importance à l’image qu’il en oublie que le chroniqueur est d’abord un faiseur de mots…

Mais ce n’est pas le cas, Guy Birenbaum ne faisait que tendre son piège. Il savait bien que la promesse de pouvoir montrer sa bobine en allècherait plus d’un. Comme il savait que l’image ne pardonne rien à celui qui ne la maîtrise pas, que passer à l’écran s’apprend, n’est pas donné au premier quidam venu, eût-il même des choses intéressantes à dire.

Et pour que le piège fonctionne, il fallait donc qu’ils ne réfléchissent pas, qu’ils foncent, mentons projetés vers l’avant. « Chiche ? Même pas cap ! », leur lança-t-il. Autrement dit : « Le dernier qui répond est une couille molle »…

Source : Testostérosphère